L’école élémentaire française apprend-t-elle encore à nos élèves à lire, écrire, compter ? - par Bonapartine
Publié le 14 Février 2011
La baisse du niveau scolaire de nos élèves n’est plus un secret pour personne. Nombre de rapports et de témoignages d’enseignants et notamment d’enseignants de l’enseignement supérieur, en attestent et le déplorent.
C’est dans ce contexte que Bonapartine nous fait le plaisir, au travers de plusieurs articles qu’elle va nous proposer, de partager avec nos lecteurs une part de son expérience et de ses observations, sur une période de vingt ans en nous livrant son point de vue sur la nature réelle des lacunes des plus jeunes de nos élèves, ceux scolarisés à l’école primaire élémentaire.
- Partie I -
L’école élémentaire française apprend-t-elle encore à nos élèves à lire, écrire, compter ? par Bonapartine
Sans nullement vouloir dresser un tableau quasi apocalyptique qui déprimerait même les plus optimistes d’entre nous, ce serait néanmoins franchement malhonnête de prétendre qu’une grande majorité de nos élèves a atteint niveau scolaire d’ensemble honorable en 2010, tant dans les disciplines littéraires que scientifiques.
Une commission du Grand Orient de France qui a engagé une réflexion sur le thème "L’école républicaine du futur", puis rendu son rapport en juin 2009, a établi à ce sujet le constat suivant : « Enfin, depuis plusieurs années, le système éducatif semble bloqué et les résultats scolaires ne progressent plus, voire, dans certains cas, se dégradent. »
Pour que la première obédience maçonnique de France, en règle générale plutôt discrète sur l’analyse du système éducatif français en termes de résultats scolaires, reconnaisse que "les résultats scolaires ne progressent plus, voire, dans certains cas, se dégradent", on aurait tendance à en conclure que notre système éducatif français ne doit quand même pas être au zénith de sa forme !
[Grand Orient de France, "L’école républicaine du futur", Rapport des travaux de la Commission/Propositions juin 2009, page 16.]
Concernant l’école primaire, mon constat est simple même s’il risque de surprendre : en l’espace de vingt ans et contrairement à ce que nous disent tous les rapports officiels plus alarmistes les uns que les autres, je ne crois pas que le niveau scolaire de nos élèves, dans les disciplines qui servent de points de repères fondamentaux et qui sont "La maîtrise du langage et de la langue française" et "L’Education scientifique" (ici en particulier dans le domaine des Mathématiques), ait baissé dans les proportions qui nous sont souvent rapportées pour la simple raison que le niveau scolaire était déjà faible, pour une part non négligeable de nos élèves, il y a vingt ans. Ou alors, il faudrait déclarer que le niveau de nos élèves serait nul de nos jours. La différence entre ce que je découvrais il y a vingt ans et ce que je vois maintenant, c’est qu’aujourd’hui, ce que j’observais il y a vingt ans majoritairement chez des élèves issus de quartiers qualifiés pudiquement de "sensibles" et dans le cadre de l’exercice de mon métier d’institutrice, je le vois désormais chez plus de 80% des élèves chez qui j’interviens, quelles que soient leur localisation géographique, leur milieu social, leur appartenance ethnique, leur couleur de peau, leur croyances, leur religion … Parfois et je le dis sans détours, je le vois chez plus de 90% de nos élèves si nous parlions, par exemple, exclusivement de la maîtrise écrite de la langue française car, à l’évidence, seule une toute petite minorité de nos bacheliers savent s’exprimer correctement dans leur langue.
Il y a dix-neuf ans, j’avais en charge une classe de C.M.2 dans un département jugé "très sensible", composé majoritairement mais pas exclusivement d’enfants nés français de parents issus d’une immigration remontant aux années 1960, soit récente de seulement quelques années, originaire d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne.
Cette classe de C.M.2 avait, en début d’année scolaire, des lacunes en mathématiques si lourdes que j’ai dû reprendre, par exemple, en géométrie, toutes les bases les plus élémentaires. Comprenez par là que nous avons commencé l’année en apprenant à distinguer et à tracer deux droites parallèles, puis deux droites perpendiculaires, certains élèves ne sachant alors pas comment définir un angle droit. Quant à la maîtrise de la langue, l’ensemble des élèves effectuait une lecture orale satisfaisante et comprenait globalement ce qu’ils lisaient. En revanche, leur niveau orthographique était catastrophique, leurs connaissances en grammaire à peine celles d’un élève de C.E.2. Pour autant, cette classe demeure dans mon esprit une exception notable dans la mesure où, après un rythme de travail acharné auquel, je dois dire très honnêtement, les élèves se sont dans l’ensemble pliés sans rechigner en classe, le niveau atteint par nombre de ces élèves dans la maîtrise de la langue française était tout à fait honorable en fin d’année scolaire. Et dans le peloton de tête, notons que cinq élèves étaient parfaitement capables, en évaluation de fin d’année faite en classe, de rendre une petite rédaction composée d’une introduction, d’un développement et d’une courte conclusion sur une page recto-verso de format A4, sans quasiment aucune faute de français et d’une lecture parfaitement cohérente qui ne laissait aucun doute quant à l’excellent niveau de compréhension initial du sujet. A l’époque, je précise que les copies des évaluations réalisées en Français et en Mathématiques étaient incluses dans le dossier d’inscription constitué en classe de 6ème, en vue de la Commission d’examen des passages effectués dans la classe supérieure, organisée en présence de l’inspectrice de circonscription, de la directrice de l’école primaire, de moi-même et du chef d’établissement responsable du collège qui allait accueillir les futurs élèves admis en 6ème. J’ajoute que cette classe comptait en son sein des enfants issus de quartiers difficiles dans une ville qui a, du reste, tristement fait parler d’elle il y a quelques années dans la rubrique des faits divers, de toutes origines ethniques et de confessions religieuses diverses : enfants français dont les parents vivaient depuis plus ou moins longtemps en France, originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne mais aussi d’enfants aux origines malgaches ou polonaises; enfants de religion musulmane, chrétienne, juive. Ce qui veut dire qu’on peut partir de loin , avec un niveau scolaire pour le moins globalement passable, voire faible comme c’était le cas en mathématiques pour cette classe de C.M.2, mais à condition que tout le monde accepte de se retrousser les manches : l’enseignant doit être prêt à consacrer ses mercredis et ses week-ends entiers à la préparation de sa classe (indépendamment des corrections quotidiennes des cahiers), les élèves doivent accepter de considérer que l’école n’est pas une cour de récréation mais que l’année en cours sera celle de l’effort et de la sueur, les familles doivent intégrer que le temps de l’année ne sera pas celui des sorties pédagogiques consacrées à la visite de tel musée ou à l’après-midi réservée à une sortie en forêt . Quand il y a urgence sur la somme de fondamentaux à acquérir, faute de l’avoir été précédemment, il faut aller à l’essentiel et donc opérer des choix cornéliens.
Second exemple : il y a dix-huit ans puis de nouveau il y a quinze ans, j’ai corrigé les évaluations d’entrée en classe de C.E.2 et je notais déjà, pour chaque classe, sur une petite dizaine de livrets, des lacunes telles dans le processus d’acquisition des mécanismes fondamentaux de la lecture et de l’expression écrite, qu’elles présageaient une scolarité à venir des plus délicates. Quelques rares élèves, en expression écrite, s’exprimaient dans une langue totalement inconnue de moi et de mes collègues, aux codes étrangers à ceux de la langue française. Une langue qui ne correspondait, du reste, pas non plus à leur langue maternelle !
Alors, après, l’Education Nationale raconte ce qu’elle veut à l’opinion publique. Moi, je sais ce que j’ai vu pour avoir corrigé les évaluations de C.E.2 et je répète que le constat était déjà préoccupant il y a quinze ans et plus, en particulier dans le domaine de la maîtrise de la langue écrite.
Pendant des années, certains acteurs de l’Education Nationale nous ont expliqué, au risque de maintenir un dialogue de sourds avec une partie de la communauté enseignante en exercice sur le terrain, que le niveau d’instruction des parents et/ou l’absence de maîtrise de la langue française pénalisaient considérablement les élèves et déterminaient, pour partie, le taux d’échec scolaire de certaines populations. Je m’inscris totalement en faux contre ce raisonnement, pas pour des raisons idéologiques, mais tout simplement parce que je considère que les lacunes scolaires de nos élèves trouvent leur source principale dans l’introduction puis le maintien de méthodes d’acquisition de la lecture qui, non seulement n’ont jamais apporté la preuve de leur efficacité mais, de surcroît et surtout, ont conduit au démantèlement progressif des intelligences de notre nation. Alors, évidemment, vous trouverez toujours un parent pour vous dire : "Oh mais mon fils ou ma fille maîtrise parfaitement la langue française et/ou est devenu (e) un (e) excellent (e) lecteur (-trice) alors qu’il (elle) a appris à lire avec la méthode globale ou semi-globale d’apprentissage de la lecture." Tenir ce genre de discours, c’est juste oublier de dire que les méthodes de lecture susvisées ne conviennent qu’à une infime minorité d’enfants. Or, l’école publique est destinée à permettre, non pas à une minorité mais à tous les enfants d’accéder aux fondamentaux de la lecture qui sont la condition même d’acquisition des outils indispensables à une future émancipation réussie. Seule la méthode syllabique d’acquisition de la lecture permettra à notre institution scolaire d’atteindre cet objectif. Et je le sais d’autant plus que j’ai assuré une classe de C.P en mettant exclusivement en œuvre une méthode purement syllabique d’acquisition de la lecture. A ceux qui affirment que cette méthode de lecture ne forme pas de véritables lecteurs, j’affirme que c’est faux ! La méthode de lecture syllabique (b+a = "ba") est la seule méthode de lecture accessible à tous les enfants, quelles que soient leurs origines ethniques. Permettre aux enfants de la nation de devenir dès l’école primaire de bons lecteurs, c’est leur permettre d’échapper à la spirale infernale de l’échec scolaire et, pour nombre de ceux nés dans des cités infernales, de se tourner vers la délinquance. C’est aussi faciliter l’intégration des familles des enfants : on le sait, les familles apprennent la langue française aussi par le biais de la maîtrise qu’en acquièrent les enfants. Et cette situation n’est pas nouvelle du tout ! Il n’était, en effet, pas rare, avant comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de rencontrer, dans nos provinces reculées, des enfants nés dans des familles françaises depuis plusieurs générations qui, néanmoins, entraient à l’école primaire sans parler un seul mot de la langue française nationale. Pour exemple, l’année dernière, un paysan m’expliquait que lorsqu’il était entré au C.P, en 1940, dans une école primaire des terres limousines qu’il disait alors "isolées de tout et du monde", aucun de ses camarades de classe ne parlait "le Français officiel". En réalité, les enfants s’exprimaient tous dans un des patois de langues d’Oc, entre eux mais également en famille. Intriguée de constater que dans certaines de nos contrées françaises, les populations locales avaient parfois accédé si tard à la langue nationale française, je lui demandais comment ils avaient ensuite appris ce qu’il appelait "le Français officiel".
Il me répondit en ces termes : « C’était très simple : l’institutrice du village parlait parfaitement à la fois notre patois local et la langue française nationale. Pendant toute l’année du CP, chaque activité menée et mimée en classe nous contraignait progressivement à apprendre la langue française parlée au plan national. Une fois que nous maîtrisions suffisamment l’oral, nous commencions alors seulement à apprendre à lire et à écrire. Je me souviens, notre institutrice appliquait la Méthode Boscher. Chaque page annonçait un son que nous répétions inlassablement et que nous associons ensuite à une consonne, par exemple "p+ou+le = poule". Jamais je n’aurai pu connaître la langue française avec les méthodes de fous furieux qu’ont connues mes petits-enfants. » Après un temps de silence, il fit enfin cet amer constat :
« Quand j’y repense, je me dis que nous n’étions pas plus avantagés que les enfants étrangers de vos villes puisque nous ne connaissions pas la propre langue du pays dans lequel nous étions nés alors que certains d’entre eux ont aujourd’hui des parents qui sont en France depuis plus de trente ans et qui devraient au moins maîtriser notre langue quand ils la parlent.
Une classe en 1945
Cet homme se dirigea vers une grande armoire en chêne massif et sortit des cahiers vieux de 70 ans (en 2010). C’est ainsi que je découvris comment des enfants nés en France, en 1934, qui ne maîtrisaient que le dialecte local, parfois des enfants arrivés dans ces villages isolés de France après que leurs parents aient fui l’Espagne de Franco ou l’Italie de Mussolini mais qui ne connaissaient pas davantage la langue officielle française que leurs camarades de classe issus de familles de nationalité française depuis plusieurs décennies, s’étaient néanmoins retrouvés, en 1940, sur les bancs de l’école communale avec le handicap d’une langue qui leur était étrangère, y compris et peut-être surtout lorsqu’elle l’était dans leur propre pays si j’ose dire pour ceux qui n’avaient connu que la France pour horizon depuis leur naissance, apprenaient et parvenaient à parler, à la lire et à l’écrire la langue française nationale mieux que ne savent la parler, la lire et l’écrire les enfants actuellement scolarisés à l’école primaire française.
Quelles en sont les causes profondes ? C’est là que doit commencer un débat citoyen digne de ce nom sur l’école d’une part. C’est, d’autre part, ce débat que doivent mener nos politiques plutôt que de préconiser de commencer à apprendre à parler la langue anglaise dès l’âge de trois ans !
Bonapartine.