10/ Le rapport de l'islam avec la violence.
Connaissance de l'islam
Dès que le thème du rapport de l’Islam à la violence est abordé, les passions s’attisent.
Tout d’abord, nous n’omettrons pas de faire état des citations coraniques privilégiées par les tenants de toutes opinions. Les uns disent en effet : « Quiconque tue un homme innocent, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité », ou prétendent que le Coran interdit d’exercer une contrainte en religion. Les autres avancent : « Tuez les non-musulmans partout où vous les trouverez ! ». Afin de démêler l’écheveau il faudra replacer ces citations dans leur contexte (…)
Sur l’interdiction du meurtre
Assez régulièrement, à la suite de tel ou tel événement dramatique, et notamment après les
attentats (…) on entend citer le Coran en ces termes : « Quiconque tue une victime innocente, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. » Cette citation est alors abondamment relayée
dans le médias et suscite une approbation unanime.
Or, le coran dit précisément :
« Quiconque tuerait une personne qui elle-même n’a pas tué ni commis de forfaiture (fasâd) sur la terre, c’est comme s’il avait tué les hommes dans leur
totalité » (Sourate 5, Verset 35/32) (Sourate abrogée par la suite voir chapitre Abrogation Ndlr Gérard Brazon)
Ainsi que nous allons le voir, la différence entre le texte coranique et la façon dont il est
régulièrement cité est tout à fait déterminante.
Dans la forme où on le cite régulièrement, le verset qui nous occupe se rapproche d’une formule
du judaïsme rabbinique, dans la Michna, qui précède de plusieurs siècles le Coran. On la trouve dans le Talmud de Babylone en ces mots : « celui qui détruit une seule vie humaine en
Israël, cela lui est compté par l’Ecriture comme s’il avait détruit tout un monde ». Par elle-même, cette sentence n’a de sens qu’en ce qu’elle confère à l’homicide un
caractère d’infinie gravité, bien que le principe soit ici restreint à Israël.
Ainsi donc la phrase du Coran se distingue de celle de la Michna par une interpolation venant préciser ce qui fait exception au principe anti-homicide : il est interdit de tuer quiconque,
SAUF si cette personne est elle-même coupable de meurtre ou de fasâd, terme qui peut être traduit par « désordre, immoralité, corruption », ou encore par « forfaiture ». La notion, le substantif
fasâd a été repris en droit musulman ainsi qu’en philosophie arabe.
Le Fasâd dans le droit musulman et en philosophie arabe.
En droit musulman (fiqh), c’est Abû Hanîfa (mort en 767), le premier
des fondateurs d’écoles juridiques musulmanes, qui emploie le mot fasâd pour désigner la nullité radicale qui frappe un acte juridique, non par manquement d’un des éléments indispensables à son
existence, mais par violation « des conditions de validité stricto sensu exigées pour sa perfection ». Ce sens négatif du terme, dans son acceptation juridique et dans son usage pratique, est en
conformité avec la signification qu’il reçoit dans le domaine de la philosophie.
En philosophie en effet, le terme fasâd est utilisé pour
désigner la corruption, dans le sens de la phtora d’Aristote qui désigne, comme antonyme de génération, l’un des deux modes du changement selon la substance.
Autrement dit, la corruption (fasâd) est un changement qui détruit. Une bonne partie des œuvres de la philosophie arabe (falsafa) consistant en commentaires d’Aristote, on comprend aisément que le terme y soit récurrent. Le verset coranique que nous avons cité spécifie bien que peut mériter la mort le coupable d’un meurtre ou d’un fasâd.
A la lumière de son interprétation en philosophie comme processus destructeur, nous comprenons à présent que l’incrimination de fasâd soit directement liée à celle de meurtre. Or, étant donné l’usage extensif du terme tel que nous pouvons l’observer par exemple en droit, la fonction du fasâd dans ce verset paraît bien être d’estomper la frontière entre le meurtre et la simple forfaiture.
Dès lors comment interpréter les choses ? La permission de tuer le coupable d’un fasâd suppose-t-elle que le fasâd se limite au meurtre (interprétation restrictive), ou bien tout fasâd est-il assimilable à un meurtre (interprétation extensive) ? On ne saurait interpréter le Coran à partir d’un seul de ses versets ; il convient de saisir comment il s’inscrit dans l’ensemble du texte.
Néanmoins, une première observation s’impose : systématiquement, lorsque le Coran parle de l’interdiction du meurtre, comme un fil rouge, il introduit une exception ; Au verset 68 de la sourate 25, ainsi qu’au verset 35/33 de la sourate 17, ou encore 152/151 de la sourate 6, est écrit ceci : « Sinon en droit, ne tuez pas votre semblable qu’Allah a déclaré sacré ! » (Ce qui autorise à tuer tout ce qu'Allah n'a pas déclaré sacré. Ndlr Gérard Brazon)
La règle de l’abrogation
Entre autres caractéristiques, le Coran présente celle de contenir des précisions sur la façon dont il doit être lu. On pourrait dire, avec le vocabulaire inélégant de la critique textuelle dernier cri, que c’est un texte auto-référent. Ainsi à plusieurs reprises (16, 103/101 ; 2, 100/106), Allah explique qu’il lui arrive de substituer un verset à un autre, en connaissance de cause, et que l’homme n’a pas à savoir ni à chercher pourquoi. De là naît la règle de l’abrogation.
Si deux versets contiennent des sentences ou des prescriptions contradictoires, l’ordre chronologique tient lieu de critère décisif : c’est le dernier révélé qui a le dernier mot. Il arrive toutefois que des contradictions semblent apparaître au sein même d’une même sourate, à quelques versets d’intervalle, de telle façon qu’évoquer l’antériorité d’un verset sur l’autre devient difficile. Peut alors intervenir un critère interne à la formulation : celui de la plus grande précision. (Ce qui explique pourquoi il y a des "savants" et des "docteurs" en islam, c'est à dire des hommes qui n'ont jamais pu lire autre chose qu'un livre confus et contadictoire. ndlr Gérard Brazon)
Cela étant, dans la perspective coranique, l’existence des contradictions peut s’expliquer par le fait qu’Allah emploie des ruses avec les hommes. (C'est un farceur en plus!) Au bout du compte, ce qui importe est que sa volonté soit précisée et observée à la lettre (?) par les hommes. Il existe aujourd’hui un débat sur l’historicité des versets concernant l’abrogation, débat qui s’ajoute à celui concernant l’historicité du Coran en général.
Cependant, sur le plan de la violence coercitive, (…) la question importe peu puisqu’il n’y a pas vraiment de contradiction entre les différentes périodes reconnues, mais plutôt une progression. Les menaces que la tradition musulmane considère comme de la période dite mecquoise se traduisent par une violence bien concrète dans la période suivante, dite médinoise.
Déploiement chronologique de la violence dans le Coran
Dans le Coran, tel qu’il se présente depuis que le corpus en a été
fixé, les sourates sont classées non par ordre chronologique, mais par ordre décroissant de longueur, à l’exception de la
première (la fatiha). La sourate 2 est ainsi la plus longue, puis vient la troisème, etc. cependant, la tradition islamique elle-même conduit à élaborer un ordre chronologique approximatif,
notamment grâce à la biographie du Prophète( Sîra).
Considéré selon cette chronologie, le texte suit une
progression au cours de laquelle le prophète de l’islam annonce tout d’abord l’imminence du jugement dernier. Il s’identifie aux personnages de la Bible tels qu’il les perçoit, appelle à la
solidarité avec les pauvres, reprenant en cela un thème biblique ; il lance des diatribes contre ceux des habitants de la Mecque qui ne croient pas à son rôle d’Envoyé de Dieu. Muhammad déchaîne
la colère divine contre eux, colère qui n’est encore que verbale :
"Ton Seigneur t’accordera bientôt ses dons et tu seras satisfait. Ne t'a t-il pas trouvé orphelin et il t’a procuré un refuge. Il t’a trouvé errant et il t’a guidé. Il t’a trouvé pauvre et il t’a enrichi. Quant à l’orphelin, ne le brime pas. Quant aux mendiants, ne le repousse pas. » (93, 5/11)
"Fais entendre le rappel ! Tu n’es que celui qui fait entendre le Rappel et tu
n’es pas chargé de les surveiller. Quant à celui qui se sera détourné et qui était incrédule : Dieu le châtiera du châtiment le plus grand. » (88, 21/24)
Des histoires mettant en scène des personnages bibliques sont développées ; un rapprochement avec les Juifs et les
Chrétiens est recherché :
« Ne discute avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise. Sauf avec ceux d’entre eux qui ont été injustes. Dites : nous croyons à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu qui est votre Dieu est unique et nous lui sommes
soumis. » (29,46)
Mais les Juifs et les chrétiens refusant de
reconnaître la prophétie de Muhammad, les voici accusés d’avoir été infidèles à ce que Dieu leur avait transmis, d’avoir opéré une falsification (tahrîf) du « message » que Dieu avait déjà « fait
descendre » pour eux :
« Comment pouvez-vous désirer qu’ils croient avec vous, alors que certains d’entre eux ont altéré sciemment la Parole de Dieu, après l’avoir entendue ? (
2,70/75)
« Ô gens du livre ! Pourquoi dissimulez-vous la vérité sous le mensonge ? Pourquoi cachez-vous la vérité, alors que vous savez ? »
(3,71)
Le début de la violence
islamique
Pour se démarquer des juifs, la direction de la prière est modifiée, de Jérusalem vers la Mecque (2,139/144).
Surtout, les menaces de la première période envers les Mecquois débouchent sur une violence
bien concrète. Des razzias sont lancées contre les caravanes de la Mecque. De nombreuses diatribes sont adressées aux Hypocrites (Munâfiqûn), ceux des habitants de Médine qui ne suivent pas
Muhammad dans ses entreprises de razzias.
« Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que le culte d’Allah soit rétabli » (2,189/193).
« Ils t’interrogent au sujet du butin. Dis : « Le butin appartient à Allah et à son Prophète. Craignez Allah ! Maintenez la concorde entre vous. Obéissez à Allah et à son
Prophète, si vous êtes croyants!» (8,1)
Selon les sources
musulmanes elles-mêmes, deux des trois tribus juives de Médine les Banu Qaynuqa et les Banu Nadhir sont expulsées. La troisième tribu, les Banu
Qurayzah est accusée ensuite d’avoir voulu soutenir les ennemis mecquois, lors du siège que ceux-ci firent de Médine, en représailles aux razzias de Muhammad ; une fois le siège levé et
le danger écarté, les membres de cette tribu sont sommés de se convertir à l’islam! Ceux qui refusent de le faire ? Tous les hommes de la tribu, plusieurs centaines, sont alors
décapités; les femmes et les enfants, réduits en esclavage, sont partagés entre le Prophète et ses fidèles. ( Et c'est ce
phrophète qui est honoré alors qu'il devrait être jugé pour crimes contre l'humanité de nos jours. ndlr Gérard Brazon)
Enfin, la violence se tourne contre tous les non-musulmans, sans
exception, tous accusés de ne pas croire à l’Envoyé de Dieu, et d’être soit polythéistes, soit de mauvais monothéistes, c’est-à-dire d’associer à Dieu autre chose que lui-même
(shirk). Le combat devient radical, toute non-appartenance à la communauté des croyants (Umma) étant perçue comme une agression à son
encontre. Ordre est donné de combattre tous les non-musulmans et de leur faire payer le tribut (9,29). C’est en se fondant sur cet ordre
que la domination politique de l’islam, qui se confond totalement avec sa domination religieuse, s’étendra bientôt à tout le Proche-Orient, dès le califat de
Umar.
De la lecture du Coran et de l’histoire sainte de l’islam, il ressort ainsi que les deux
formes majeures de corruption (fasâd) qui appellent le courroux divin, sont la falsification des écritures (tahrîf) et l’« associationnisme » (shirk). Nous allons nous attacher à comprendre plus
précisément ce que l’une et l’autre de ces corruptions recouvrent, et quels châtiments elles méritent aux yeux du Coran.
Pas de contrainte en religion ?
Pourtant, nous répondra-t-on, on trouve dans le Coran l’interjection : « Pas de contrainte en religion ! » Cette citation, tirée du verset 257/256 de la sourate 2 est sans doute devenue aujourd’hui la plus célèbre du Coran, puisque très médiatisée, dans la presse, à la radio, à la télévision. (Par les bobos de France et les immigrationistes. Ndlr Gérard Brazon) Il importe ici de la prendre en compte et d’en percevoir le sens réel.
Lorsqu’elle est citée, cette phrase est toujours sortie de son contexte, pour
promouvoir l’idée que l’islam, à l’instar de Vatican II, prônerait la liberté religieuse et lui donnerait même force de loi. Or, une telle perception ne résiste pas à
l’examen scrupuleux du texte. Si, en effet, le sens de ce verset était d’inciter à la liberté religieuse ne contraignez pas les gens en matière religieuse ! Alors, pourquoi dans la même sourate 2, juste auparavant (versets 193 et 216), puis plus encore dans des sourates considérées comme postérieures,
rencontre-t-on tant d’appels à lancer la guerre contre les païens, les juifs et les chrétiens en vertu de ce qu’ils n’adhèrent pas à l’islam ? Comment comprendre alors cette fameuse formule sur
la contrainte en religion, puisque tant de versets coraniques appellent à contraindre en matière religieuse ?
Selon Dominique Urvoy, cette exclamation n’a jamais signifié un appel à la tolérance : «
Le verset lui-même ne fait référence qu’au droit des non-musulmans à embrasser l’islam sans qu’on les empêche. Et c’est bien
comme cela qu’il a toujours été compris, du moins dans l’ordre de la pratique. »
La suite du verset « celui qui est infidèle aux idoles et croit en Allah s’est saisi de l’anse la plus solide et sans fêlure » montre que c’est d’islam dont il est question, et porte crédit à cette explication : c’est à l’islam qu’il ne faut pas empêcher quiconque de se convertir.
Nous proposons ici un complément d’explication. La phrase sur la contrainte
est précédée d’un hymne à la gloire de la toute-puissance divine :
« Allah ! Il n’y a de Dieu que lui : le Vivant ; celui qui subsiste par lui-même ! Ni l’assoupissement, ni le sommeil n’ont de prise sur lui ! Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre
lui appartient ! Qui intercédera auprès de lui sans sa permission ? Il sait ce qui se trouve devant les hommes et derrière eux, alors que ceux-ci n’embrassent de sa Science que ce qu’il veut. Son trône s’étend sur les cieux et sur la terre : leur maintien dans l’existence ne lui est pas une charge ; il est
Très-Haut, l’inaccessible. » (2,256/255)
« Pas de contrainte en religion ! La voie droite se distingue de l’erreur. Celui qui ne croit pas aux Taghout (rebelles, idoles) et qui croit en Allah, a saisi l’anse la plus solide et sans
fêlure. Allah est celui qui entend et sait tout. » (2,257/256)
L’exclamation sur la contrainte en religion apparaît donc à la suite d’une
exaltation incantatoire de la toute-puissance divine. Il semble nettement qu’il puisse y avoir un lien entre cela et la fameuse « absence de contrainte » : une fois entré en
religion, c’est-à-dire ici en islam, il suffit de se laisser porter par la mouvance de la toute-puissance divine, et on ne ressent plus la moindre contrainte. La liberté adhère d’autant plus
facilement à la religion , à la soumission en Allah, qu’elle se découvre alors dans la mouvance même de la volonté du Dieu tout-puissant à laquelle rien ne résiste et donc qui ne connaît pas de
contrainte. Le croyant ne ressent pas de contrainte une fois entré dans la religion, il se sent libéré, il distingue aisément la droiture de l’égarement. Il devient « fils de la rectitude » (nom
d’Averroès : Ibn Rushd, « fils de la rectitude ») solidement assuré de son chemin ; il ne ressent nulle division en lui-même.
Mais le fait qu’une fois soumis en Allah, on ne ressente pas de contrainte ne signifie nullement qu’il ne soit pas légitime d’user de contrainte
en matière religieuse, pour faire entrer autrui dans la « vraie » religion ! Tant que l’homme est au seuil de l’islam, toutes les contraintes sont permises pour l’y faire entrer, mais une fois
dedans, c’est là qu’il se sent libéré, sans affliction, sans contrainte, du moins selon le Coran.
Voilà, toute une interprétation possible de ce passage. On le sait, les exégètes musulmans ont interprété la phrase : « Pas de contrainte en religion » de façons très diverses, ainsi que le rapporte al-Tabari (839-923), dans son commentaire du Coran. Néanmoins, lorsqu’un texte religieux contient une phrase qui fait litige, il est légitime de chercher la concordance avec le texte dans son ensemble.
La vaine polémique autour du mot jihâd
Toujours dans une perspective d’accommodation de l’islam aux exigences de la modernité, il s’est nourri, ces dernières années, une polémique autour du sens à donner au terme jihâd.
Tous s’entendent sur l’étymologie : jihâd dérive de la racine j .h .d et signifie «
effort en une certaine direction ». Sans autre forme de procès, certains en déduisent que le sens primordial du mot serait « effort en vue du perfectionnement moral », d’autres
allant jusqu’à conclure qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur le rapport du texte coranique à la violence ; chez l’un on lira que jihâd « ne comprend absolument pas la notion de sacralité
de la guerre » (Ghaleb Bencheikh) ; chez un autre que cette même notion est « totalement étrangère à la mentalité musulmane » (Mohamed Talbi) ; chez un autre encore qu’elle n’a «
aucune légitimité scripturaire » (Abdelwahab Meddeb) ; un dernier, enfin, signe un article intitulé « Aucune guerre n’est sainte en islam » ! (Malek Chebbel) ; cette polémique
trouve sa raison d’être dans un triple manquement aux règles de la rigueur intellectuelle.
Tout d’abord , l’origine étymologique d’un mot ne suffit pas à rendre compte du sens pratique qu’il prend historiquement. Ensuite, commencer
par évoquer l’effort en vue d’un perfectionnement moral pour définir le jihâd est un anachronisme. Enfin, le sens que revêt ce mot ne détermine pas à lui seul le rapport du Coran et de l’islam à
la violence.
Avec le
temps, le sens des mots évolue. C’est là une banalité de premier ordre ; dans un contexte culturel et historique particulier, un mot peut se figer sur un sens plus restreint que sa signification
étymologique première,ou, à l’inverse la déborder complètement. Lorsqu’on dit d’une armée qu’elle a pacifiée un territoire, cela ne signifie pas qu’elle y ait fait œuvre que d’actions
pacifiques. Pour ce qui est du jihâd, le sens étymologique est bien celui d’effort, mais le sens spécifique qu’il a pris historiquement en islam est d’abord lié aux prescriptions
guerrières du Coran. Il n’y a là nul jugement de valeur, simplement un constat. C’est ensuite seulement que fut élaborée la notion d’un jihâd spirituel, ou « grand jihâd », mais pas avant le
IXème siècle.
Avant d’en arriver là, revenons au VIIème siècle. Les conquêtes (futûh) font suite aux premières expéditions lancées par
Muhammad, dont le succès est interprété comme un signe divin. Ces expéditions font l’objet de récits épiques : les maghâzi (expéditions guerrières) qui, avec le Coran, et les Hadîth ,
sont les textes musulmans les plus anciens. Y sont enregistrées les siyar (« conduites », pluriel de sîra), qui désignent les manières dont les premiers musulmans, au premier rang desquels
Muhammad, se sont conduits, dans leur façon de mener les guerres de conquête et de décider du sort des populations conquises. C’est à la fin du VIIème siècle que sous le terme jihâd seront
traités de façon juridique les procédés guerriers jusque-là enregistrés sous le terme siyar. Il y a là un changement de vocabulaire, mais le thème reste le même.
Et ce n’est donc qu’à partir du IXème siècle, dans le cadre de la mystique, que fut introduit et développé le thème du grand jihâd, conçu cette fois-ci comme un effort en vue
d’un perfectionnement moral, une lutte intérieure contre les mauvais penchants, l’acceptation précédente de jihâd guerrier n’étant pas reniée mais requalifiée de « petit jihâd ». la création au
IXème siècle de la notion de grand jihâd, ou jihâd majeur, est donc liée à l’avènement de la mystique musulmane, elle-même provenant de la fréquentation de la mystique chrétienne dont
elle reprend certains aspects.
En outre, même si le terme jihâd avait désigné primordialement un effort en vue du perfectionnement moral, ce qui n’est donc pas le cas, la question des prescriptions violentes du Coran
ne serait pas dissoute pour autant.
Ces prescriptions emploient
d’autres termes. Le vocable utilisé le plus souvent est celui de combat (qitâl). Le combat en question n’a rien d’abstrait, bien au contraire, puisque le verbe qâtala est une forme du verbe
signifiant « tuer ». il s’agit d’un combat sans merci, à mort, jusqu’à la totale domination de l’islam sur le reste du monde. Alferd Morabia dresse la liste des verbes arabes
utilisés. Ils signifient « combattre, tuer, razzier, attaquer, guerroyer, marquer de l’hostilité, frapper l’adversaire, partir en campagne ».
Notons à propos des versets coraniques exhortant au combat que le contexte de leur formation, selon l’histoire sainte musulmane elle-même,
est bien celui d’une guerre offensive lancée par l’islam naissant contre ce qui est en dehors de lui. La réalité décrite par le Coran est celle de razzias et de batailles lancées contre les non-musulmans, au prétexte qu’ils ne sont pas musulmans, à l’occasion desquelles sont tués des hommes, sont enlevées des
femmes et des enfants pour être réduits en esclavages et partagés en butin. Et il est assez indifférent, finalement, de savoir si les injonctions guerrières du Coran y sont inscrites sous le
terme jihâd ou sous un autre, puisqu’elles y sont inscrites. Qu’importe le mot puisque l’idée s’y trouve.
L’historicité des prescriptions violentes
Lorsqu’il étudie un système religieux, l’historien peut suivre deux
voies distinctes mais complémentaires. La première est ce que l’on appelle la démarche historico-critique, qui consiste à porter un regard critique sur les fondations de ce système dans leur
rapport aux faits historiques avérés. En matière d’islam, les plus riches analyses de ce type sont dues notamment à Ignace Goldziher, Régis Blachère,
Patricia Crone, ou encore à Cristoph Luxenberg.
Cette démarche historico-critique ne doit pas escamoter la seconde voie de recherche, qui consiste à penser la
narration religieuse dans sa logique propre, au travers d’une grille d’analyse éthique et anthropologique. Il s’agit de prendre le texte pour ce qu’il prétend être, dans son corpus canonique,
dans son histoire « officielle », pour saisir ce par quoi se construit l’édification. Toute narration religieuse, en effet, quel que soit le rapport de ses fondements scripturaires à la vérité
historique, devient à son tour productrice d’histoire, marquant profondément de son empreinte les représentations humaines du monde sur lequel elle résonne. Parmi les spécialistes de l’islam qui
pratiquent cette démarche de critique interne, citons Alfred Morabia, Roger Arnaldez, et le regretté Antoine
Moussali.
Parmi les 63 expéditions militaires répertoriées par l’histoire sainte de l’islam, on compte quelques assassinats politiques, dont ceux de poètes dont les
vers étaient irrévérencieux envers Muhammad.
Des expéditions sont lancées contre les populations sédentaires, notamment juives et chrétiennes. Il apparaît aujourd’hui à l’historien que la Sîra a été écrite pour donner une cohérence narrative au Coran. Pas plus que pour le reste des éléments de cette biographie écrite deux siècles après les faits, la science historique ne retrouve trace de l’existence des tribus juives expulsées ou exterminées par Muhammad dont il est fait mention. Il n’en demeure pas moins que le Coran atteste bien que Muhammad a entrepris des expéditions militaires contre des populations juives et chrétiennes afin de les soumettre, ce qui en soit compte plus que de connaître leurs noms exacts.
Le dogme officiel considère que la réception du Coran fut terminée en 632 avec la mort de Muhammad et que sa collecte le fut sous le calife Othman (644-656). Le point de vue de l’historien diverge de cette version des choses.
Muhammad est certainement mort après 632, mais surtout le règne de Abd al-Malik (686-705) fut une étape manifestement décisive dans le processus de fixation du texte. Cependant, même si ‘’Abd al-Malik renforça vraisemblablement dans le texte coranique l’antagonisme contre les juifs et les chrétiens, il n’en demeure que les grandes lignes étaient données du vivant de Muhammad. « Il est ainsi évident que les premiers musulmans adhéraient à un culte qui comportait des pratiques et des croyances clairement définies, distinctes des autres religions existant alors. »
Parmi ces fondements, la légitimation théologique de la force physique des musulmans contre les non-musulmans, au motif qu’ils ne sont pas musulmans, est une donnée tout à fait déterminante, qui a valeur d’édification.
Sourate II verset 191 « Dieu n'aime pas les transgresseurs. Tuez-les partout où vous les rencontrerez.»
Sourate II verset 7 « Dieu a mis un sceau sur leurs (les incrédules) cœurs et leurs oreilles ; un voile est sur leurs yeux et un
terrible châtiment les attend. Certains hommes disent : nous croyons en Dieu et au Jour dernier, mais ils ne croient pas. Ils essayent de tromper Dieu et les croyants ; ils ne trompent
qu'eux-mêmes et ils n'ont pas conscience. Leur cœur est malade : Dieu aggrave cette maladie. Un châtiment douloureux sera le prix de leur mensonge.»
Sourate II verset 24 « Si vous ne le faites pas (apporter des témoins autres que Dieu) - et vous ne le ferez pas - craignez le Feu qui a
pour aliment les hommes et les pierres (Lapidation) et qui a été préparé pour les incrédules.»
Sourate II verset 88 « Ils ont dit : "Nos cœurs sont incirconcis". Non!… Que Dieu les maudisse à cause de leur incrédulité.»
Sourate II verset 83 ou 89 « Allâh maudisse les incroyants»
Sourate II verset 84 ou 90 « Aux incroyants la honte du tourment (ou un supplice ignominieux).»
Sourate II verset 98 ou 104 « Aux incroyants l'affreux tourment (un châtiment douloureux).»
Sourate II verset 170 ou 175 « Ceux qui troquent le chemin et le pardon contre l'erreur et le tourment, comment vont-ils endurer le
feu ?»
etc.
Connaissance de l'islam