Les paramètres identitaires sont négociables mais non modifiables par Bahjat Rizk

Publié le 16 Octobre 2010

TRIBUNE LIBRE par Bahjat Rizk
Les paramètres identitaires sont négociables mais non modifiables
 
                Bahjat Rizk est attaché culturel du Liban auprès de l’Unesco. Également essayiste, il est notamment l’auteur de l’Identité pluriculturelle libanaise : pour un véritable dialogue entre les cultures (paru en 2002 aux éditions IDLivre, collection Esquilles) et d’un recueil d’articles intitulé Le pluralisme libanais dans l’identité et le système politique.
La grande question de l’identité agite aujourd’hui, toute la planète grâce ou à cause, de la mondialisation et la remise en question de l’état-nation.Il n’en demeure pas moins, que les paramètres identitaires qui structurent les identités collectives sont toujours les mêmes, depuis le début identifié des sociétés culturelles, depuis 5000 ans et l’invention de la première écriture humaine. Ces paramètres par ailleurs, se retrouvent chez Hérodote, père de l’histoire dans le premier récit qui est fait, du premier choc des civilisations dans l’histoire reconnue de l’humanité, entre la Grèce antique et la Perse antique, 500 ans avant Jésus christ.

Certes il existe toujours, un humanisme de l’identité humaine, auquel les hommes tendent et qui va, au-delà de leur appartenance politique, économique et culturelle en rejoignant des valeurs universelles humaines , dépassant les cultures, mais il y a également un instinct de survie des groupes (à l’instar de celui des individus) qui tend, à les faire œuvrer pour préserver leur culture, au mépris parfois ,de leur propre vie individuelle. L’humanité est formée d’un vaste ensemble, de groupes intermédiaires (sociétés et communautés) ainsi que d’individus. Cette dimension que nous avons maintenant l’habitude d’appeler la nation (étym : naissance, race vers 1160) l’humanité peut la vivre, dans le cadre d’une compétition sportive (mondial de football, jeux olympiques) à un niveau symbolique et ludique, ou dans la guerre à un niveau réel. Les termes employés sont toujours les mêmes : sélection, élimination, victoire, défaite, revanche… Le processus subjectif d’identification continue d’agir dans les deux cas, selon les paramètres objectifs définis par Hérodote : la langue, la race, la religion et les mœurs. La notion de nation étant elle-même structurante et indispensable dans sa phase positive, peut devenir abusive en cas de dérive nationaliste. C’est bien sûr ce qui s’est passé, avec la première et deuxième guerre mondiale et qui a fait, que la notion de nation est toujours aujourd’hui, en Europe presque taboue. La difficulté est que ces mêmes éléments, qui nous construisent en tant que collectivité, peuvent devenir meurtriers, en cas de différence
culturelle perçue soit comme un enrichissement (ou une valeur ajoutée) soit comme une menace(ou malformation pathologique).

Il ne s’agit surtout pas de porter dès le départ, un jugement moral sur la question de l’identité. L’identité ou le processus d’identification (car il s’agit d’une dynamique toujours en exercice), obéit à des paramètres constants, non modifiables même si ces paramètres, obéissent à leur tour, à un processus interne de compensation, si tel est le désir ou l’intérêt des hommes qui forment le groupe. Une société définit son identité culturelle, à travers les quatre paramètres réunis et il lui appartient ,d’évaluer ce qui est mis en commun (comme patrimoine en partage) et ce qui différencie. Il n’en demeure pas moins qu’il faudrait un vrai désir et un véritable intérêt à vivre ensemble.

Les cas du Liban (religion), de la Belgique (langue) ,de l’Irak (langue et religion), du canada (religion puis langue), des états –unis (race puis langue), de l’Afrique du sud (race), de l’Egypte (religion), du soudan (religion puis race), de la suisse (langue) ,de l’Irlande (religion) et aujourd’hui ,de toutes les sociétés occidentales nous fournissent, des exemples de négociation en échec ou aboutie. Le paramètre des mœurs est plus difficile à définir car il couvre les usages, les coutumes et surtout, les structures sociales (système patriarcal ou démocratique, rôle de la femme, de l’homme, des libertés individuelles et surtout sexuelles).En occident, il s’est surtout incarné ,dans les deux déclarations des droits de l’homme : celle de 1789(révolution française) et celle de 1948(nations unies) ainsi que la révolution des mœurs en Europe occidentale en 1968.Ce paramètre, comme les trois autres tend à être universel, mais est soumis au processus, de négociation en cas de divergence culturelle. Si cette négociation aboutit, par la compréhension et la compensation, nous sommes dans la phase ,de construction identitaire, si elle échoue , nous sommes dans la phase opposée, de déconstruction et de déstructuration. Nier les paramètres identitaires est proprement irréaliste, car c’est se réfugier dans une vision angéliste de l’humanité. Mettre l’accent uniquement sur les différences culturelles, nous mènerait inéluctablement, à des conflits interminables. Les paramètres identitaires étant constants, il faudrait apprendre à les négocier, autrement dit, à les relativiser et à les considérer, selon le désir et l’intérêt, comme une valeur ajoutée. Ceci ne se décrète pas, uniquement de l’extérieur mais se vit également, de l’intérieur.

C’est toujours ce décalage, entre la nature (instinct de survie) et la culture (besoin de transcendance) qu’il nous appartient de combler .C’est en cela que résident, en même temps, notre fatalité d’êtres mortels et notre liberté d’êtres en devenir.
Bahjat Rizk
 
Merci à Moussa Ghanem de m'avoir fait découvrir ce texte.
 

Rédigé par Gérard Brazon

Publié dans #Politique Française

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