Restaurer la Gendarmerie nationale - Par Fabrice Fanet, Colonel (ER) de Gendarmerie
Publié le 12 Juin 2016
La gendarmerie ne cesse de se « policiariser » depuis 1989. Pour le colonel (ER) Fabrice Fanet, une telle évolution est regrettable face aux menaces croissantes, d’où sa proposition de « restaurer la gendarmerie », c’est-à-dire de renforcer son esprit militaire en même temps que son enracinement territorial.
Pour rétablir la souveraineté de la France et affronter les défis identitaires et sécuritaires, la Gendarmerie nationale est un outil indispensable puisqu’elle assure, avec la Police nationale, l’application de la loi et la protection des personnes et des biens. Malheureusement, à partir de la dernière décennie du XXe siècle, la gendarmerie a progressivement perdu son modèle original d’organisation et d’emploi pourtant bien adapté aux conditions et à la nature de ses missions.
Aussi est-il nécessaire de lui redonner les principes qui ont favorisé son efficacité au service des citoyens et de l’Etat. Les gendarmes qui font preuve de dévouement et d’abnégation en ces temps difficiles y trouveront un nouveau cadre qui bonifiera et soutiendra leur action.
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Le « système d’armes » de la gendarmerie départementale était caractérisé par une organisation composée de brigades compétentes de jour comme de nuit sur un territoire et une population bien connus du gendarme (« comme un poisson dans l’eau », selon la formule maoïste !), ce qui permettait d’avoir une action préventive efficace, de limiter la commission des crimes et délits et de parvenir à les élucider avec un fort taux de réussite.
Cette organisation nécessitait une disponibilité et une cohésion des gendarmes qui habitaient au sein de leur brigade implantée au milieu du territoire qu’ils devaient protéger. Elle constituait une exception par rapport à l’évolution de la société où la tendance était à la déresponsabilisation, à l’augmentation du temps libre et à la séparation bien marquée entre le travail et le reste de la vie du citoyen. Aussi est-ce bien logiquement qu’à l’été 1989 un mouvement de contestation (amplifié par une presse à l’affût de sujets) demandait que cette disponibilité et cet engagement exceptionnels soient reconnus, notamment par une prime. Mais le pouvoir politique, ne voulant pas mécontenter les fonctionnaires de la police, ne souhaita pas reconnaître la spécificité de la gendarmerie et intima l’ordre de calquer son organisation sur celle de la police et d’offrir un service de même nature et de même qualité.
Ainsi furent décidées la réduction du temps de travail, l’instauration des patrouilles de nuit gérées au niveau du département (1990) puis la création de communautés de brigades (2005) dépossédant et séparant les gendarmes de leur territoire et de leur population. Cette nouvelle organisation entraîna la baisse des patrouilles préventives de surveillance générale, une moindre connaissance de la population et du territoire et la montée consécutive de la délinquance, sans parler de la création de territoires quasiment désertés par leurs gendarmes.
Il en est résulté un changement de la manière de servir et de la mentalité des gendarmes qui constituèrent de moins en moins des unités soudées autour d’une mission valorisante et mobilisante. Ils devinrent trop souvent des salariés comptabilisant leurs heures de travail et leur disponibilité, ce qui explique que bon nombre d’entre eux et leur famille n’habitent plus au sein de la brigade dans leur logement de fonction qui était le gage d’un lien fort entre le gendarme et la population dont ils assurent la sécurité et permettait leur rappel immédiat et efficace pour affronter l’urgence.
Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur (août 2009) vint amplifier ce changement en favorisant l’alignement sur l’organisation de la police sous couvert de favoriser la coordination opérationnelle et de ne pas attiser « la guerre des polices ». Cette boulimie organisationnelle a été voulue par un ambitieux ministre de l’Intérieur auquel se sont bien gardés de résister des généraux de gendarmerie issus de Saint-Cyr qui avaient juré leurs grands dieux que le lien de la gendarmerie avec l’armée et le ministère de la Défense était vital.
Ce centralisme mégalomane eut d’ailleurs l’exact effet inverse, les deux institutions étant plus enclines à se comparer et à rivaliser puisque jugées par le même ministre. La coordination opérationnelle n’a pas été amplifiée pour la simple raison que les deux institutions ont leurs zones de compétence propres et qu’en cas d’impératifs particuliers ou de questions communes, comme la tenue des fichiers, les autorités judiciaires et administratives ont toujours eu les moyens de faire conjuguer les efforts. Quant aux gains de gestion attendus de la mutualisation des matériels, ils n’ont pas été plus importants que par le passé, sauf à considérer que l’attribution du poste de directeur général à un général de gendarmerie (en récompense de l’apport de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur ?) est un bénéfice de bonne gestion.
Le modèle de « police secours » s’étendit donc à l’ensemble de la gendarmerie départementale qui, ayant largement abandonné la police préventive, en a été souvent réduite à intervenir après la commission des crimes et délits, ce qui explique, pour une bonne part, la montée du sentiment d’insécurité dans la population.
Face aux enjeux sécuritaires classiques liés à la délinquance et aux menaces sur la nation française au travers des menées terroristes, que faire pour conforter l’efficacité de la gendarmerie et notamment des gendarmes départementaux dans leurs missions de maintien de la sécurité publique et de protection des personnes et des biens ?
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Tout d’abord il n’est pas trop tard pour restaurer l’efficacité de la gendarmerie. Par la force des choses et l’ampleur des défis qui assaillent la France, hormis quelques esprits revendicatifs systématiques, les gendarmes ne demandent qu’à participer à la renaissance de leur métier et de leur gendarmerie pour retrouver la fierté d’être encore plus utiles au pays et aux Français.
Ainsi, en tout premier lieu, la gendarmerie doit rejoindre le ministère de la Défense afin d’affirmer le début d’une nouvelle ère où la mission sera de nouveau au cœur des préoccupations des chefs comme du gendarme. La réaffirmation du caractère militaire de la gendarmerie sera menée notamment dans ses rapports avec l’autorité administrative préfectorale où la subordination de la gendarmerie devra être conjuguée avec sa liberté d’utiliser les moyens nécessaires à la bonne exécution des ordres et à l’accomplissement de sa mission. Le principe de la réquisition devra inspirer ces relations.
Des Etats généraux de la sécurité redéfiniront les attentes des Français et des gendarmes et serviront de bases pour réorganiser le service.
La brigade de gendarmerie autonome compétente sur son territoire cantonal au profit de sa population, de jour comme de nuit, redeviendra la règle, même si une coordination entre les brigades continuera, bien sûr, à être assurée à l’échelon du département.
Cette mesure sera réalisée en rétablissant la pleine disponibilité des gendarmes et en leur reconnaissant parallèlement des compensations financières et de gestion de carrière, notamment en matière d’avancement. Un audit des états-majors (Région et Direction de la gendarmerie notamment) ainsi que des écoles sera effectué pour affecter progressivement sur le terrain des personnels administratifs occupant des postes à faible valeur ajoutée. Un recrutement significatif viendra aussi renforcer les effectifs des brigades grâce à la réaffectation à la gendarmerie d’ETP (Emploi à temps plein) provenant de ministères non régaliens. Les gendarmes et leur famille habiteront de nouveau effectivement leur logement de fonction à la brigade mais une loi sera votée pour donner aux gendarmes les avantages liés à l’acquisition d’une résidence principale même s’ils ne l’occuperont qu’à leur retraite.
Le rétablissement de relations suivies avec les élus, les citoyens et les personnels retraités de la gendarmerie (qui quittent souvent le service à un âge où ils conservent une potentialité non exploitée) sera mené notamment grâce à un système de réservistes bénévoles (inspiré des pompiers volontaires) mis en place avec la participation active des collectivités territoriales afin d’offrir aux brigades un appui dans leurs missions de prévention et de renseignement notamment.
Les 15 escadrons de gendarmerie mobile qui ont été regrettablement supprimés à partir de 2008 seront recréés afin de permettre un meilleur soutien à la gendarmerie départementale et redonner du temps pour l’entraînement et l’instruction.
Enfin, la garde républicaine occupera une plus grande place dans la prévention des actes terroristes à Paris par la multiplication des patrouilles de surveillance générale.
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La gendarmerie est en charge de la sécurité de 95% du territoire et de 50% de la population dont près de la moitié dans des zones périurbaines. La restauration de son organisation et de ses principes d’emploi est indispensable pour que l’autorité de la loi retrouve sa place fondamentale dans le maintien de la souveraineté et de l’identité de la France.