UNE GUERRE EN EUROPE ? Est-ce que les Européens peuvent faire face à un assaut russe ? Dr. Craig Luther
Publié le 6 Mai 2016
Adaptation Thérèse Zrihen-Dvir
Au cours de l'un de mes récents voyages de recherche en Allemagne, au sein d'un petit groupe de discussion, une observation hors-du record d’un colonel de l'armée allemande avait réussi à soulever quelques sourcils : Si Vladimir Poutine, président russe, avança-t-il, lâcherait un jour ses grandes et puissantes forces mécanisées sur la plaine de l’Europe du Nord - traversant la Biélorussie, la Pologne, l'Allemagne et au-delà – Il n’y a pratiquement rien qui puisse les arrêter. Bien qu'une perspective si sinistre est préoccupante, elle entraîne également la question : Pourquoi Poutine, qu’importe le degré d'agressivité de son attitude au cours des dernières années se lancerait-il dans une aventure si stupéfiante et calamiteuse ?
En mettant de côté cette question pour le moment, on constate tristement que la remarque du colonel du Bundeswehr était juste – vu l’alarmante et mauvaise condition militaire de l'Europe occidentale, elle serait incapable de surmonter le défi sérieux d’une importante attaque conventionnelle russe, avec son potentiel d’escalader la situation à l’usage des armes nucléaires. Et puisque cette dernière alternative n’est, bien entendu, pas du tout une alternative, et considérant que toute résistance classique mise en place par les membres de l'alliance de l'OTAN, comme l'Allemagne, la Belgique et la France équivaudrait à un peu plus d’une résistance symbolique, on se demande : Est-ce que ces pays et leurs compatriotes, se battront pour sauver Berlin, Bruxelles et Paris, ou se plieront tout simplement à l'inévitable en capitulant ?
Bien sûr, si Poutine devait envoyer ses chars menaçants en direction de l'ouest, les forces américaines stationnées en Europe contribueraient à sa défense. Ces forces toutefois, ne représentent plus l'imposante menace qu'elles étaient avant, après avoir été réduites à une infime fraction à la fin de la Guerre froide. Aujourd'hui (2016), elles comptent à peine 65,000 soldats américains stationnés en permanence en Europe, et la valeur même de cette petite force a été sérieusement compromise en 2012 et 2013, lorsque l'Administration d’Obama a désactivé deux équipes de brigade lourde de combat de l'armée américaine en Allemagne - éliminant avec efficacité l’unique force blindée lourde essentielle de l'Europe.
En raison du niveau troublant de l’état d’alerte des forces militaires des États-Unis résultant en partie des ordres de l’Administration d’Obama, de diminuer en profondeur le personnel, l’équipement et l’entraînement - coupes difficiles à comprendre dans notre monde de plus en plus précaire - il y a lieu de douter que les USA soient en mesure d’apporter une contribution sérieuse à la défense de l'Europe contre toute future attaque russe au sol, sans devoir recourir à l’arme nucléaire. Dans son rapport annuel pour l’année 2016 sur la situation de la force militaire des États-Unis, la Fondation conservatrice du patrimoine a modifié son évaluation globale sur l'armée américaine de «marginal» (2015) à «faible», découlant principalement d'une «baisse de capacité », puisque l'armée maintenant a moins de brigades d'équipes de combat prêtes à être déployées à l'étranger.
En Juin 2015, le secrétaire américain de la Défense, Ashton Carter, avait annoncé que les USA allaient déployer des armes lourdes, dont quelques 250 chars M1-A2, en Pologne et dans les États baltiques comme poste contre les démarches agressives de Poutine. (L’application de ce plan ne débutera pas avant le début de 2017.) Néanmoins, usant un idiome de la «guerre froide», cette force proposée ne sera pas assez grande et n’est qu'un jeton de « fil de détente », qui, en 1956, 1962 ou 1968, aurait pu déclencher une réaction nucléaire américaine - réponse qui serait aujourd'hui inconcevable.
En d'autres termes, en raison de la force militaire insuffisante des États-Unis et des armes lourdes stationnées maintenant (ou bientôt) en Europe, ainsi que les déficits croissants de l'armée américaine en général, les Européens seraient largement laissés face à :
-775.000 soldats russes (deux millions de réserves actives),
-2600 chars de combat principaux (MBT) (avec 17.500 dans leur stock !),
-4200 pièces d'artillerie (automoteur, remorqué et systèmes multi-lancement roquettes (MLRS); avec des milliers d'autres en stock),
-11.000 véhicules blindés de transport (APC) et des véhicules de combat d'infanterie (VCI),
-1200 avions de combat (dont 140 bombardiers et environ 1000 chasseurs, avions d'interception et d'attaque au sol), plusieurs centaines d'hélicoptères d'attaque et des moyens navals dont 35 combattants majeurs de surface et 59 sous-marins.
Compte tenu de cette triste réalité, quelles sont les forces militaires classiques les puissances occidentales - Allemagne, France et Angleterre – pourraient-elles amasser pour faire face à une grande guerre contre la puissance militaire visiblement supérieure de la Russie ?
La réponse à cette question est au mieux troublante. Le Bundeswehr allemand d'après-guerre, précédemment, l'une des forces armées les plus grandes et les mieux équipées du monde, a été réduit à des imitations de mitrailleuses lourdes avec des balais dans un récent exercice de l'OTAN ; depuis la fin de la guerre froide, il a supprimé 90% de ses cuirassés et possède maintenant un peu plus de 200 chars de combat principaux, alors qu’en ces dernières années, un bon nombre de ses avions de chasse ont été neutralisés par manque de pièces de rechange. La France, l’alliée allemand de L’OTAN, unique puissance militaire stratégique de l'Europe occidentale (avec son propre arsenal nucléaire), a une armée professionnelle solide et capable, mais avec seulement 100,000+ troupes et 200 chars. Il n'y a aucune force militaire plus grande que celle la Russie sur le terrain, même si ses forces sont combinées à celles de l'Allemagne. Quant à la Grande-Bretagne, le démantèlement honteux de sa puissance militaire a réduit sa redoutable armada à seulement 19 grands combattants de surface ; jusqu'à l'achèvement des deux porte-avions Reine Elizabeth, elle ne possède aucun porte-avions opérationnel. L'armée britannique est de petite taille (moins de 100.000 réguliers), beaucoup plus petite que pour l'opération DESERT STORM (1991), quand elle avait contribué à la défaite de l'Irak de Saddam Hussein. En d'autres termes, les structures de ces anciennes grandes puissances européennes n’empêcheront pas le président Poutine de dormir la nuit.
Mais au fait, à quoi ressemblerait une guerre conventionnelle contre la Russie de Poutine en Europe ? Pour répondre à cette question, nous devons nous référer aux deux guerres de la Russie contre la Tchétchénie (1994-96 et 1999-2000). À la fin de 1999, les forces russes étaient entrées en Tchétchénie et avaient assiégé la capitale de Grozny. L’artillerie et les missiles russes avaient infligés une destruction monstre sur la ville. Les observateurs avaient été choqués par la brutalité de la Seconde Guerre tchétchène et, en 2003, l'Organisation des Nations Unies avait appelé Grozny la ville la plus détruite sur terre. Un simple coup d’œil sur les photographies de Grozny de cette période, nous frappe par sa similitude avec Stalingrad en 1943 ou Berlin en 1945, si profonde était l'oblitération de la ville. L'invasion russe a mis fin à l'indépendance de facto de la Tchétchénie, avec le rétablissement du contrôle fédéral russe. Le conflit amer s’accompagnait de violations des droits de l’homme par les deux parties, alors qu'une guérilla contre les insurgés tchétchènes s’étendait sur des années.
L’intervention récente de la Russie dans la guerre civile syrienne - suite à une demande officielle de soutien militaire du gouvernement syrien contre les rebelles et les groupes djihadistes - a connu la même tendance brutale et meurtrière de bombardements aveugles et de morts de civils. Il semble en effet, que les Russes, n'ont jamais pris connaissance du message postmoderniste « La guerre n’est jamais la réponse » et la guerre n’est non plus un outil légitime de politique nationale, comme nous l’a révélé non seulement leur comportement en Tchétchénie et en Syrie, mais aussi leur agression en Géorgie (2008), l'annexion de la Crimée (2014), et l'invasion furtive de la région du Donbass de l'Ukraine (2014).
On peut affirmer que Vladimir Poutine est le leader russe le plus réussi depuis Joseph Staline. Il est aussi l'un des plus dangereux. Il considère la chute de l'Union soviétique comme un événement géopolitique le plus catastrophique du siècle dernier, et est déterminé à rétablir cet empire, en décuplant ses forces alors que celles de l'Occident faiblissent. Entre-temps, il tisonne et sonde le long de la périphérie de l'alliance de l'OTAN, faisant un pied de nez à une Amérique distraite et nonchalante, menaçant ses voisins de sanctions militaires et économiques. Irrité par l'expansion de l'OTAN jusqu'aux frontières mêmes de la Russie, Poutine pourrait même risquer de précipiter une crise majeure dans un effort de diviser, voire démanteler l'alliance de l'OTAN.
Ce qui nous ramène à ma question sur le président Poutine lui-même - à savoir, Osera-t-il lâcher ses «chiens de guerre» sur l'Europe occidentale ? Peut-être pour révéler simplement son mépris à ses adversaires. Poutine, en Septembre 2014, se vantait qu’«il pouvait, à volonté, occuper une capitale européenne de l'Est en deux jours ». L'implication étant que ses forces mécanisées très supérieures peuvent saisir Berlin, Bruxelles ou Paris en quelques jours en plus ? Néanmoins, étant donné la faiblesse collective et le manque de volonté qu’il intercepte profondément en Amérique d’Obama et à l'OTAN en général, on ne peut que supposer que Poutine reste confiant qu'il peut atteindre ses objectifs géopolitiques et militaires, sans avoir à recourir à une guerre. Pour cela, il peut simplement continuer à faire monter la pression (militaire et économique), l'intimidation et le mauvais traitement. En bref, une offensive russe massive à travers la plaine d'Europe du Nord est hors de question.
Ainsi, même si cet article représente un peu plus qu'un exercice «académique» - inspiré par les délibérations d'un colonel anonyme du Bundeswehr – Une pensée demeure qui donne à réfléchir, étant donné l’existante «corrélation des forces» entre la Russie et l'Europe occidentale. Cette dernière, dans une vue bien réelle, reste la captive de l'esprit et des manœuvres d'un Vladimir Poutine.