Zemmour et Poutine, deux mêmes faces du combat contre la décadence.
Publié le 2 Janvier 2015
Par Kader Hamiche
Janus était, chez les Romains, le dieu des dieux, le premier nommé car le dieu des commencements (d’où janvier, ou mois de Janus, le premier mois de l’année). C’était le dieu de la paix, protecteur de Rome. Mais c’était aussi celui des portes qu’on ouvre ou qu’on ferme, ou dieu des choix. Il me semble que la référence à Janus s’impose, en ces temps où non seulement la France mais aussi toute l’Europe sont mises en demeure de choisir entre la fin ou la préservation de leur civilisation. Face à ce défi, il est remarquable que dans tous les pays d’Europe, de forts mouvement de résistance voient le jour contre l’entreprise de dissolution de nos sociétés dans un vaste ensemble atlantique sans valeurs et sans âme car négateur de l’Histoire. La France échappait à cette réaction.
Jusqu’à cette fin d’année 2014, il n’y avait dans notre pays que des résistances ponctuelles, sporadiques et déconnectées les unes des autres. Ici et là, des Français clairvoyants pointaient du doigt – et de la plume – les menaces qui planent mais elles n’en faisaient pas une analyse globale. L’économie nationale en déshérence, l’appauvrissement des Français, la pression européenne, le règne des lobbies et la ploutocratie, le gouvernement des technocrates, l’affaiblissement de la Justice, le communautarisme, l’immigration incontrôlée, la perte de l’esprit public et les dérives de nos élites, le patriotisme voué aux gémonies, le piétinement de la Nation, tout cela était vu, raconté et dénoncé mais en ordre dispersé et sans synthèse valable. Et les cris des vigies étaient inaudibles car la plume ne fait pas de bruit. Les seuls à accéder au micro – hormis les complices de l’entreprise qui squattent les débats et campent dans les studios de télévision – restent les incurables tenants de la lutte des classes, toujours très forts pour les diagnostics mais incapables de sortir de leurs schémas bientôt bicentenaires. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi eux ont le droit de s’exprimer dans le poste : ils ne présentent aucun danger pour le système. Nous vivions un 1984 sans Big brother.
Puis vinrent en 2012-2013 les réformes qu’on s’obstine à appeler « sociétales » pour en atténuer le sens et la portée, des réformes qui s’attaquent au cœur même de la civilisation et à ses fondements. Des réformes unanimement saluées par nos élites bien-pensantes et, quoi que disent les sondages télé-commandés, refusées par les Français. Alors, on a enfin vu la France d’en bas s’insurger, prendre la parole et occuper la rue. Ces réformes ont permis de mesurer le fossé qui sépare les Français de leurs élites. A partir de là, tout ce que celles-ci font et défendent est devenu suspect, scruté et analysé par ceux-là. Les événements d’Ukraine, les incohérences de la politique étrangère et européenne de nos gouvernants et, peut-être surtout, l’irruption du débat sur le traité transatlantique, dont les Français découvrent par petits bouts les tenants et les aboutissants catastrophiques pour leur modèle de société, tout cela contribue à les déciller.
Eric Zemmour est le symbole de ces yeux qui s’ouvrent. Pas plus que les autres lanceurs d’alerte il n’a été – mais ce n’est pas son projet – capable de nommer, d’expliquer et de relier entre elles les manifestations du mal-être des Français face aux menaces qui planent sur leur pays et leur civilisation. Je pense même, et je l’ai écrit, qu’à l’exemple de bien d’intellectuels français marqués par la culture dominante dans laquelle il évolue depuis trente-cinq ans, il n’en a pas rationnellement saisi les ressorts, les origines, les buts, et il n’a jamais cherché à en confondre les responsables. Ce sont ses obsessions et ses tourments personnels qu’Eric Zemmour a mis en scènes à chacune de ses nombreuses apparitions télévisées et dans chacun de ses éditoriaux ; il n’a jamais voulu en faire l’illustration d’une thèse générale ni, encore moins, des armes pour combattre un projet politique (au sens premier du terme de « projet de civilisation »). Mais, ce faisant, il a rencontré le Peuple français transi dans ses peurs. Il leur a fait écho. Il a mis des mots sur elles ; « des mots sur des maux », selon sa propre formule. Ainsi, il donne raison à Kant qui a expliqué comment la Nature (ou l’Histoire) se sert des passions pour faire avancer l’espèce humaine sur la voie du progrès (Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique. Très court concentré d’intelligence à lire absolument).
Car, quand les Patriotes commencent à réagir contre la régression, c’est bien d’un progrès qu’il s’agit. Et ils le font non plus en ordre dispersé mais en ayant conscience de n’être pas seuls chacun dans son coin. Les cinq-cent-mille exemplaires du Suicide français vendus par Zemmour sont comme autant de fanions ou signes de rassemblement que des citoyens conscients brandissent au nez des « suicideurs » de la France. Cinq-cent-mille fanions ou cinq-cent-mille bras d’honneur ! Beaucoup ne font que s’insurger contre trop d’humiliation depuis trop longtemps contenue ; peu savent qu’ils défendent quelque chose, une cause, qui les dépassent ; moins encore croient qu’ils entrent dans l’Histoire. Peu importe : étendard de la révolte des gueux contre le mépris de leurs élites ou symbole d’une réaction salutaire contre la destruction de notre civilisation, Eric Zemmour est bien l’homme de l’année 2014.