Qui sont les "Frères Musulmans" par Recherches sur le terrorisme
Publié le 20 Mars 2011
Origine des Frères Musulmans

Son père lui imposa une éducation religieuse stricte. Dans cette ambiance familiale toute en dévotion, le jeune Hassan nourrissait un fort sentiment d’admiration pour la monarchie saoudienne. Il idéalisait sa conquête du trône d’Arabie et le courant puritain islamiste des Wahhabites, surgi dans la péninsule au XVIIIème siècle. Il écrira plus tard: "Qui aurait pu imaginer que le roi Abdelaziz al Saoud... deviendrait l’un des espoirs de la renaissance et de la réunification du monde musulman?"
Pendant ses études, au Caire, Hassan al-Banna entre en contact avec les intellectuels musulmans du mouvement "salafiyya," ou salafiste, qui se veut dans la tradition des compagnons du prophète Mahomet. En septembre 1927, il obtient son premier poste d’instituteur à Ismaïlia sur le canal de Suez.
En mars 1928, il crée la société des Frères musulmans avec une douzaine d’autres personnes. En 1929, elle compte déjà 4 sections, 15 en 1932 pour atteindre le chiffre de 300 cellules en 1938. En 1949, on estime les Frères à 2 millions de membres répartis à travers toute l’Égypte.
Dès leurs origines, les Frères pêchent en eaux troubles. De son aveu même, Al-Banna reçoit de l’argent, 500 livres, de la toute puissante "Compagnie du Canal" sous contrôle des Britanniques depuis 1876. Il reçoit aussi un permis pour construire une mosquée. Al-Banna se justifie d’abord en déclarant cet argent appartenant de droit au peuple égyptien comme tous les biens de la Compagnie. Plus tard, il niera avoir touché cette aide financière. Il n’en restera pas moins en relation secrète avec l’Ambassade de Grande-Bretagne. On voit là une constante des organisations islamistes, souvent soutenues, sinon financées, à leurs débuts par de futurs ennemis (*).
Brillant orateur, Al-Banna galvanise les foules, jouant sur la frustration de ses compatriotes sous occupation britannique et attribuant tous les malheurs de la communauté musulmane à l’Occident. Cependant, son propos garde une tonalité religieuse, appelant à la stricte observance des préceptes coraniques.
Une loi complète pour diriger cette vie
Dans leur premier journal, créé vers 1930, les Frères publient leur profession de foi. On lit: "Je crois que tout est sous l’ordre de Dieu, que Mohammad (Mahomet) est le sceau de toute prophétie adressée à tous les hommes... que le Coran est le Livre de Dieu, que l’islam est une Loi complète pour diriger cette vie et l’autre..."
L’islam est une loi complète pour diriger cette vie..." Tout est là

Ensuite, parce qu’aujourd’hui, de nombreux musulmans ne voient pas, dans les règles coraniques, une référence obligée pour la direction des affaires publiques, ou de la vie privée.
Voilà en tout cas où l’islam préconisé par les Frères se heurte, sinon aux conceptions laïques, du moins à la réalité multiconfessionnelle des ensembles nationaux d’aujourd’hui. Car, nul ne saurait élever ses règles religieuses au rang de loi d’un pays sans porter préjudice aux fidèles des autres croyances. Une religion, si elle peut-être l’identifiant de la majorité, ne saurait être imposée à tous ses règles.
Le credo des Frères poursuit: "Je renforcerai les rites et la langue de l’islam..." La langue arabe, celle du coran, devient objet de sacralisation. A ce titre, il convient d’en préserver la "pureté" et d’en répandre l’usage. Voire de l’imposer. Comme, dans le passé, aux chrétiens du Liban. Comme aujourd’hui, aux Maghrébins berbérophones.
Et, plus loin, le document de préciser les aspirations hégémoniques de son inspirateur: "Je crois que le musulman a le devoir de faire revivre l’Islam par la renaissance de ses différents peuples, par le retour à sa législation propre (la charia); que la bannière de l’islam doit couvrir le genre humain; que chaque musulman a pour mission d’éduquer le monde selon les principes de l’Islam..."
On voit là les Frères révéler leur volonté prosélyte. Il n’y aurait rien à dire s’ils acceptaient la réciproque des autres courants religieux, y compris non musulmans. Mais, en Égypte, par exemple, sous leur influence, les lois de l’État interdisent la conversion d’un musulman.
Le totalitarisme des frêres

Née à l’époque de l’essor du fascisme et du stalinisme, l’idéologie des Frères s’inscrit dans la même logique totalitaire. La religion en plus. De là à la fascination pour la force, il n’y a pas loin.
Dans le serment d’allégeance, le terme "jihad" est déterminant. Rapidement, les Frères se dotent d’une force militaire. D’abord au sein de leur organisation de scoutisme, où un millier de jeunes gens portait des armes. En 1936, lors du soulèvement arabe en Palestine, puis en 1948, pendant la première guerre israélo-arabe, ils participent aux combats.
Puis les Frères se dotent d’une structure militaire clandestine, l’"Organisation secrète," commandée par Saleh Achmaoui. Dès 1940, une relation se noue entre cette Organisation secrète et les cadres de l’armée, futurs putschistes, des "Officiers libres." Anouar al-Sadate, très lié à Gamal Abdel Nasser, fournit des armes à la confrérie. En 1944, Nasser établit même une connexion directe entre elle et lui.
Hassan al-Banna perd le contôle

Cet incident est révélateur du dilemme des Frères. Leur discours mobilisateur leur assure un recrutement rapide et leur assure une masse de manœuvre importante. Mais l’action politique, faite de patience et de compromissions, déçoit les recrues les plus motivées, qui refusent d’obéir ou quittent la confrérie pour créer des groupes plus radicaux. En ce sens, ils sont les initiateurs des mouvements terroristes agissant au nom du "jihad."
Le contrôle de l’organisation échappe à Al-Banna. Au printemps 1948, un jeune Frère tue un juge. Au mois de novembre, pendant une manifestation de rue de la confrérie, deux officiers anglais sont lynchés. Le 6 décembre, le Premier ministre, Noqrachi, ordonne la dissolution des Frères musulmans. Un étudiant, sorti des rangs de ces derniers, assassine alors le même Premier ministre trois semaines plus tard, quand Al-Banna cherchait à joindre le palais royal pour trouver une issue à la crise.
En janvier 1949, les autorités arrêtent 4000 militants.
Le 12 février 1949, dans des circonstances mal élucidées, Hassan Al-Banna meurt, tué dans un attentat organisé, semble-t-il, par la police. Pendant les funérailles, le gouvernement interdit la constitution d’un cortège et fait encadrer le cercueil par un détachement de blindés afin d’éviter des émeutes.
Le 12 février 1949, dans des circonstances mal élucidées, Hassan Al-Banna meurt, tué dans un attentat organisé, semble-t-il, par la police. Pendant les funérailles, le gouvernement interdit la constitution d’un cortège et fait encadrer le cercueil par un détachement de blindés afin d’éviter des émeutes.
Les frères soutiennent l'ascension de Nasser
Décapité, obligé à la clandestinité, le mouvement survit en dépit de ses divisions internes. Trois tendances se dessinent. La première, conservatrice et de caractère religieux plus accusé, la seconde attirée par l’action violente, la troisième enfin, prétendue "modérée", mais surtout plus politique. Cette dernière, va l’emporter et amener la confrérie à soutenir les Officiers libres de Nasser.

Dans cet univers concentrationnaire, où la torture sert de méthode habituelle d’interrogatoire, les Frères musulmans se durcissent. Un nom va émerger, celui de Sayyid Qotb.
Les frères à la conquête du monde

Après huit ans de prison, en 1964, avec ses compagnons de détention Qotb bénéficie d’une amnistie politique générale concédée par Nasser. Il ne goûte pas longtemps la liberté. Le 29 août 1965, le Raïs dénonce un nouveau complot des Frères. Quelques-uns des camarades de Qotb parviennent à s’enfuir à l’étranger, en Europe et en Arabie Saoudite. Lui, repris, sera pendu le 26 août 1966. L’un de ses livres, traduit sous le titre "Signe de piste," devient la référence des extrémistes islamistes.
Sous Anouar Al-Sadate, après la mort de Nasser, en octobre 1970, on assiste à une prudente collaboration entre le pouvoir et la Confrérie. En réalité, elle est tolérée, mais non reconnue. Elle doit se contenter de cette demi-existence qui lui interdit de se constituer en parti politique et de présenter des candidats aux élections.
Les Frères en profitent pour se restructurer. Dans le discours, la doctrine de Hassan Al-Banna reprend le dessus sur celui de Qotb. Cheikh Omar Talmassani, Guide officieux depuis 1973, va jusqu’à affirmer: "Sayyid Qotb exprimait ses propres vues, pas celles de la Confrérie..."
L’ambiguïté, pourtant perdure quant aux relations de la Confrérie avec les organisations terroristes. En avril 1974, par exemple, Saleh Abdallah Sariyya, un membre du "Parti de la Libération" (Hezb Al-Tahrir) basé en Jordanie, tente d’assassiner Sadate. Les Frères dénoncent l’attentat. Est-ce sincère? Le Parti de la Libération dépendait alors de l’organisation des Frères musulmans. Mieux, Zaynab Al-Ghazali, figure éminente de la confrérie, reconnaît au cours du procès avoir rencontré l’accusé pour le présenter au Guide suprême.
C’est néanmoins le voyage de Sadate à Jérusalem, en 1977, puis les accords de Camp David entre l’Égypte et Israël, qui consacrent la rupture entre les Frères et le pouvoir. En septembre 1981, enfin, les critiques se faisant de plus en plus vives contre le Raïs, ce dernier met à profit des violences dont est victime la minorité chrétienne copte du fait des islamistes pour mettre 1500 Frères musulmans en prison.


Sous Hosni Moubarak, les Frères retrouvent leur liberté d’action mais gardent leur statut: tolérés mais non reconnus. En 1987, pour participer aux élections, ils se servent d’un subterfuge présentant leurs candidats sous l’étiquette du "Parti socialiste du travail" (PST), marxiste pourtant.
Formant un groupe à l’Assemblée nationale, ils n’ont cependant jamais dépassé la vingtaine de députés. Même s’ils y bénéficient d’un certain prestige, en Égypte, les frères ne jouissent plus de la même popularité qu’au temps d’Hassan Al-Banna.
D’abord en raison d’un glissement élitiste, remarquable par le recrutement de notables. Ensuite parce que les divisions du mouvement affaiblissent l’autorité du Guide. Enfin à cause du traumatisme causé par les vagues de répression, qui force les Frères à la prudence.
Leur force se mesure mieux en termes d’influence. Profitant du peu d’intérêt de leurs compatriotes pour les syndicats, ils ont investi ceux-ci et les contrôlent chez les ingénieurs, les médecins, les architectes etc... Surtout, leur idéologie, dans ses deux versions, celle d’Hassan Al-Banna et celle de Sayyid Qotb, servent peu ou prou de références à tous les mouvements islamistes dont ils sont les précurseurs modernes.
Enfin, dépassant les frontières de l’Égypte, leur organisation a engendré des "succursales" sur les cinq continents. Un bureau international coordonne la politique générale. Y siège le Guide, les principaux membres égyptiens et un représentant pour chaque pays où les Frères disposent d’une structure. Parmi ces pays, la plupart de ceux où l’on parle arabe, mais aussi des États européens, comme la France.Quelques exemples méritent d’être étudiés.
Les frères en Syrie
Parmi les contrées dans lesquelles les Frères furent le plus présents, la Syrie. La pénétration commença entre les deux guerres mondiales, sous le mandat français. Le véhicule furent les étudiants, séduits par les idéaux de la confrérie pendant leurs humanités à l’université d’Al Azhar du Caire, lieu fré quenté par l’ensemble du monde musulman. Ils créèrent les "Chabab Mohammad," (les Jeunesses de Mahomet) et, au cours des ans quadrillèrent le pays.
L’importance de la branche syrienne devint telle, qu’en 1954, quand la Confrérie fréquentait en Égypte les prisons de Nasser, Moustapha al-Sibai, le Guide syrien, reçut temporairement la direction de l'ensemble des Frères musulmans.
A la suite d’un coup d’État, le 8 mars 1963, arriva au pouvoir le Baa’th, un parti panarabe, laïc et marxisant. Cela provoqua la colère de la mouvance islamiste syrienne.
Résultat, dès avril 1964, les étudiants de la ville de Hama se révoltent sous la direction des Frères musulmans. En janvier 1965, l’agitation s’étend à l’ensemble de la Syrie et atteint Damas, la capitale. La brutalité de la répression ramène l’ordre.

Le 21 février 1973, deux ans après l'élection d’Assad, les religieux appellent à nouveau à la rébellion. A partir de 1974, en raison du peu de résultat de la contestation, les Frères se lancent à corps perdu dans le terrorisme. Parmi leurs faits d’arme les plus spectaculaires, on note l'attaque de l'école militaire d'Alep, le 16 juin 1979, et l’assassinat de 83 élèves officiers alaouites, la religion des Assad.
Le gouvernement réagit en exécutant une quinzaine de détenus. Puis, le 9 mars 1980, 200 personnes sont assassinées par l’armée dans le village de Jisr Al-Choughour. Autre exemple, le 6 avril, 25 000 soldats ratissent Alep et arrêtent 8000 individus suspects de complicité avec les Frères.
En réponse, le 26 juin, la Confrérie tente d’assassiner Hafez Al-Assad. Le jour suivant, le frère du Président, Rifaat, organise une opération punitive à la prison de Palmyre, où des Frères sont détenus. Plusieurs centaines de prisonniers sont exécutés.
Les insurgés passent alors au terrorisme urbain. Le 29 novembre 1981, à Damas, un attentat à la voiture piégée fait plus de 200 morts.
L'horreur arrive à son comble en 1982. Le 2 février de cette année là, les Frères prennent le contrôle de la ville de Hama. Ils distribuent des armes et mettent sur pied un tribunal islamique. Plusieurs dizaines de personnes sont exécutées au nom d’Allah.
En réponse, l’armée pilonne la ville. L’aviation tire des missiles. Des quartiers sont "nettoyés" maison par maison. Au bout d’un mois, Hama est vaincue. En ruines, mais vaincue. Le nombre des morts s’élève à au moins 7000.
Écrasés, jusqu’à aujourd’hui les Frères n’ont plus tenté d’organiser de révolte contre le pouvoir. Néanmoins, circulant à travers Damas, dans ce pays qui se réclame de la laïcité, ont est étonné, depuis une quinzaine d’années, par la prolifération de voiles islamiques portés par les jeunes filles. Ce geste de contestation du pouvoir en place, on le sent, annonce un raz-de-marée, dont les islamistes seraient les bénéficiaires, au premier signe de faiblesse du pouvoir.