Le psychodrame sur le mariage gay, une spécificité française.
Publié le 22 Avril 2013

AFP/AFP - Photo Par Jean-Sebastien Evrard - Contrairement à d'autres pays de tradition chrétienne qui ont adopté le mariage gay dans la sérénité, la France laïque vit un psychodrame autour de cette réforme
Contrairement à d'autres pays de tradition chrétienne qui ont adopté le mariage gay dans la sérénité, la France laïque vit un psychodrame autour de cette réforme portée par la gauche qui s'explique à la fois par son histoire et par une conjoncture politique particulière.
Quel contraste entre les chants maoris et les rires des députés néo-zélandais y compris conservateurs saluant jeudi la légalisation du mariage gay, et la dramatisation des débats au même moment à l'Assemblée nationale française où les députés ont failli en venir aux mains.
La loi ouvrant le mariage civil et l'adoption aux couples homosexuels sera selon toute vraisemblance entérinée mardi en France lors d'un vote solennel à l'Assemblée, où la gauche est majoritaire, après avoir été votée par le Sénat. Mais les opposants soutenus par l'Eglise catholique et l'UMP, principal parti de l'opposition de droite, poursuivent leurs manifestations de rue, émaillées d'incidents entre des éléments radicaux et la police.
Pour le sociologue et eurodéputé centriste Robert Rochefort, "le mariage gay est "inscrit dans l'histoire" et se fera à terme "dans tous les pays occidentaux". Ils sont déjà 13 à l'avoir adopté. Mais les "peurs" exprimées par une fraction importante de l'opinion en France traduisent une "société fragile" sur la question "des identités", a-t-il souligné sur France Culture.
Les questions liées à l'identité avaient été au coeur de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, battu de peu par François Hollande en mai dernier. Certains à droite estiment qu'il n'est pas allé assez loin sur ce terrain de prédilection de l'extrême-droite et rêvent de pousser les feux sur ce thème.
"Deux France"
On a vu dans les récentes manifestations des petits groupes d'extrême-droite d'inspiration nationaliste, catholique intégriste voire royaliste, se mêler à la foule des familles et des jeunes catholiques venus manifester pacifiquement pour en découdre avec les forces de l'ordre et appeler à la subversion, au grand dam des organisateurs
Le sociologue Michel Wievorka relève que l'opposition à la réforme s'est cristallisée autour de l'adoption, rejoignant des inquiétudes "liées à la vie, à la mort, à la procréation, à la filiation", inquiétudes "propres aux milieux catholiques mais pas seulement".
"Le gouvernement a commis une maladresse de départ en donnant le sentiment que la loi concernera aussi la procréation médicalement assistée", dit-il à l'AFP.
Le politologue Jean-Yves Camus souligne aussi que l'opposition à cette réforme sociétale a été "le premier moyen qui s'offre au peuple de droite de manifester son opposition à la présidence de François Hollande et au gouvernement de Jean-Marc Ayrault".
Il note que l'UMP "a vu une triple opportunité: elle est dans l'opposition et a besoin de se refaire. La mauvaise conjoncture économique et sociale permet d'étendre la contestation. Et la cote du chef de l'Etat est très basse" moins d'un an après son élection.
Au delà de ce contexte particulier, Jean-Yves Camus souligne la "spécificité française", "héritage d'une histoire pas entièrement pacifiée après plus de deux siècles de République" où "deux France" continuent à se défier. Un pays où la séparation entre le cultuel et le politique s'est faite dans la violence. Où le mariage n'est pas un simple contrat entre deux individus, mais "un pilier de la société". Où le catholicisme intégriste, très minoritaire, est aussi solidement enraciné. Et où la gauche est toujours considérée comme illégitime à gouverner par une partie de la droite.
Après les débordements des dernières manifestations, et à l'approche du vote de la loi, Michel Wievorka estime que le mouvement est en cours de "déstructuration". "Certains se démobilisent, d'autres se raidissent, voire se radicalisent", profitant de l'effet d'aubaine de la médiatisation. Un climat propice à de nouveaux dérapages, mais pas à un abandon de la réforme.