Le Parti Socialiste réalise que le Front National n'est pas une bulle. Par Gérard Brazon
Publié le 29 Février 2012
Un article du Monde sur la campagne électorale de François Hollande! Un équipage de socialos se pointe en Seine et Marne et découvre effaré que Marine Le Pen est en bonne place!
C'est amusant à lire et en dit long sur les résultats politiques d'une femme qui se bat pour ses idées! La panique que l'on voit sur certains visages à la télévision, dans les commentaires, me fait penser que Marine Le Pen est en train de réussir son pari et qu'elle flanque une petite trouille à ses adversaires politiques! Alors que faut-il en penser?
Les Français ne craignent plus le FN et ne le perçoivent plus comme un parti anti républicain, raciste, fasciste, et que sais-je encore! Cette image qui collait à la peau du FN grâce ou plutôt, à cause des écarts de langage et des dérapages répétés et suspects de l'ancien Président du FN, dérapages relayés avec délectation par une presse en joie, est en voie de disparition!
Je dois dire, à titre personnel, que j'avais une sainte horreur de cette image et donc par définition de ce parti politique qui était représenté à lui tout seul, par un seul homme! Un homme de courage (Député, il démissionna pour aller faire la guerre alors qu'il aurait pu se planquer comme beaucoup de ses pairs à l'époque, comme en 1940) et de grande culture (qui dépasse largement celle de la plupart des présentateurs), mais un homme décidément impossible à voir dans les allées du pouvoir, dans un gouvernement tant on pouvait craindre le pire de par ses discours et blagues limites! Aujourd'hui encore, la seule crainte qui habite les adhérents et sympathisants du FN c'est LE dérapage du Président d'honneur de ce parti! Certes, me disent-ils, il n'est plus Président mais nous savons que les médias le recherchent et tentent de lui faire dire la phrase qui tue, le mot sanglant, LE dérapage qui sonnerait le glas de sa fille!
Lorsque je suis allé manifester devant le Sénat à propos des 500 parrainages, je fus interviewé par Canal plus qui au lieu de me demander l'objet de ma présence, me demanda ce que je pensais du père de Marine Le Pen et si, à mon humble avis, il y avait vraiment une différence! C'était le but! Trouver dans la manifestation celui qui allait mettre un peu de vinaigre! Pas dupe, je répondais par la "génération"! Marine Le Pen est trop jeune pour tout! Pour l'avant guerre, l'occupation, la collaboration, la libération, la quatrième république, l'Algérie! Un vrai désespoir pour les commentateurs! Ah, si au moins elle avait eu 5 ans en 1940, peut-être, qui sait... Inutile de vous dire que cet interview n'est jamais passé sur Canal plus! Peut-être ont-ils trouvé ailleurs, un autre manifestant plus naïf.
Il n'en reste pas moins que cette femme est atypique. Dans ses débuts, j'attendais le moment de la brisure, la "prise de gueule" comme on dit! Même pas! Elle reste calme, forte et résistante! Alors je me levais en disant "Bon sang, celle-là elle m'épate"! Aujourd'hui, je sais au vu de toutes les petites et grosses ficelles mises en place pour la provoquer, qu'elle est capable et qu'elle tient le coup. Allez donc vous faire élire Président dans un tel parti aussi sulfureux sur le plan médiatique et en faire, en quelques mois, un parti "normal" qui veut le pouvoir par dessus le marché pour changer de politique! Peu sont capables de le faire! Ah si tout de même, Nicolas Sarkozy qui après la défaite de 1995 a réussi à retourner le RPR de Chirac et en faire l'UMP. Un parti tout entier à sa botte ou règne le centralisme démocratique. Je le sais, j'y étais Conseiller National. Toutefois, il lui a fallu beaucoup plus de temps.
Il faut un vrai mental pour faire ce genre de choses! Marine le Pen a ce mental c'est évident! Alors même si je le dis moins souvent, je trouve que cette femme a du coffre et qu'elle m'épate vraiment. Ses adversaires politiques commencent à le réaliser.
Gérard Brazon
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MORMANT (SEINE-ET-MARNE), ENVOYÉ SPÉCIAL - Le rendez-vous a été donné devant la gare. En cette fin d'après-midi d'hiver, il fait encore assez clair pour distinguer, au loin, des champs à perte de vue, à gauche, le clocher du vieux village, et, à droite, les dizaines de pavillons qui ont éclos dans les dernières années du XXe siècle.
Avec leurs piles de programmes de François Hollande sous le bras, on les reconnaît au premier coup d'œil. Ils sont cinq, ce jour-là, à accompagner Patricia Inghelbrecht, candidate socialiste aux prochaines législatives dans la 3ecirconscription de Seine-et-Marne, une soixantaine de communes au total, dont celle qu'ils ont choisi d'arpenter : Mormant, à 53 kilomètres de Paris. Une petite heure de train depuis la gare de l'Est.
TERRE DE MISSION
Equipés du "Kit de survie du volontaire en porte-à-porte", un vademecum de 5 pages distribué par le "national" où l'on apprend notamment comment "sentir si[son] interlocuteur est de gauche ou de droite", les six militants PS se constituent en binômes, se répartissent les tracts, et se donnent rendez-vous une heure et demie plus tard. Patricia Inghelbrecht anticipe : "Ca risque d'être un peu dur..." Un peu dur ? Il est vrai que les résultats des dernières élections font de Mormant, pour ces militants du PS, une terre de mission.
La maire, ici, est UMP. Le député, l'ancien secrétaire d'Etat Yves Jégo, est vice-président du Parti radical valoisien et soutient Nicolas Sarkozy. Le conseillergénéral, lui, est à gauche. Mais aux cantonales de 2011, il est l'un des douze élus de Seine-et-Marne (sur 23) à avoir affronté en duel un candidat du Front national, lequel a tout de même réalisé 41 % des voix au second tour. "C'est d'autant plus effrayant que le FN a fait une campagne aveugle, sans force militante, avec pour seul étendard l'affiche Marine Le Pen", commente Jocelyne Sifflet-Guerquin, secrétaire de la section socialiste de Mormant. Un pavillon, un deuxième, un troisième... Les portes s'entrouvrent. "Bonjour, on vient pour François Hollande...", lance la candidate derrière le portail.
"TAPER SUR LA TABLE"
De l'autre côté du jardinet, l'accueil est poli mais l'échange reste laconique. Au bout de la rue, une femme d'une cinquantaine d'années se tient debout sur le trottoir. Son mari a la tête enfouie sous le capot de sa voiture. La main noire de cambouis, il prend le programme de M. Hollande mais met d'emblée les points sur les "i": "Je vote pour la dame..." La dame, c'est Marine Le Pen.
Ouvrier à la retraite, il veut "taper sur la table", en a "marre des racailles". Sa femme le coupe : "Mon mari est Polonais, il s'est intégré, lui. Les étrangers, aujourd'hui, ne font plus d'effort." De passage à Mormant pour voir "le fiston", ils ont fini par "fuir" cette grande banlieue où ils s'étaient installés dans les années 1980."On s'est exilés dans le "40", s'amuse la femme. Les Landes, au moins il fait beau. Et puis ça reste la France."
Un peu plus loin, les pavillons laissent la place à des immeubles de deux étages. En cette fin d'après-midi, les cages d'escalier mal isolées résonnent du brouhaha de la télévision. Ici, l'accueil est plus chaleureux. L'échange peut même durer deux-trois minutes. Le nom de François Hollande ne suscite pas d'hostilité particulière.
"ICI, C'EST LES ÉLOIGNÉS"
Pas de véritable adhésion non plus. Une octogénaire prend son programme pour sa fille. Elle a "voté Ségolène la dernière fois", se dit "féministe", et pense cette année "beaucoup de bien de Marine". A l'étage du dessous, un jeune retraité qui a lui aussi "voté pour l'"ex" de Hollande" en 2007 confie à voix basse que beaucoup de ses voisins "penchent pour le côté obscur".
Patiemment, la candidate lui explique que "le programme de Hollande est très réaliste". Hochement de tête. "Merci, je vais lire, ça a l'air intéressant, mais je ne suis pas sûr de voter." Sur le palier voisin, une jeune femme exprime le même désabusement, mais pour elle, ce sera "le président". "Il nous a pas mal menés en bateau, mais bon, c'est un peu du pareil au même, non ?" Il fait désormais nuit sur Mormant.
A la gare, Patricia Inghelbrecht et ses camarades se retrouvent comme prévu. L'autre binôme fait ses comptes: "Sur 13 portes ouvertes, 3 ont dit clairement qu'ils voteraient Le Pen", ce qui correspond grosso modo au score du FN aux cantonales. Restent les plus nombreux, ceux qui ont poliment pris le tract de M. Hollande, patiemment discuté, rarement claqué la porte.
Mais jamais manifesté le moindre enthousiasme. "On parle des "oubliés". On est ici plutôt chez les "éloignés", nuance Patricia Inghelbrecht. Tout notre boulot, ici, c'est de les raccrocher. Ca va être dur, mais on est là pour ça."
Thomas Wiede