La Tunisie est-elle menacée par une guerre civile?

Publié le 8 Février 2013

Les évènements d'hier sont-ils le témoin d'un échec de l'islam politique en Tunisie ? Crédit Reuters

Atlantico : L’annonce de la formation d’un gouvernement d’experts semble révéler la gravité de la situation politique en Tunisie. Le pays peut-il renouer avec les troubles de 2010 et 2011 ?

Beligh Nabli : La situation est évidemment grave mais je ne parlerais pas d’un risque d’explosion des violences. Cet évènement est avant tout la preuve de l’incapacité d’Ennhada à assurer la stabilité du pays face à la résurgence du mécontentement populaire. Le gouvernement précédent s’est montré incapable d’apparaître suffisamment consensuel dans une période où la Tunisie à précisément besoin d’une union nationale pour sortir de ses problèmes économiques et sociaux. Le chômage continue pour l’instant de croître, les secteurs stratégiques (comme le tourisme) sont de plus en plus touchés et le déficit d’investissements étrangers se fait ressentir. La formation de ce gouvernement d’experts « apolitiques » est justement révélatrice de l’impopularité croissante d’Ennhada jugé impuissant face à ces problématiques. On peut parler par ailleurs d’une victoire pour l’opposition qui réclamait depuis longtemps la tenue de nouvelles élections. Cela devrait, en conséquence, calmer le jeu plutôt que d’aggraver la situation. 

Comment interpréter dans ce cas la forte résonance politique de l'assassinat du juriste Chokri Belaid ? 

Beligh Nabli : On peut en effet parler de la première réelle onde de choc depuis le départ de Ben Ali en 2011 bien que je ne pense pas encore une fois que nous ayons affaire à une nouvelle révolution ou même à un mouvement contre-révolutionnaire. Il s’agit en vérité d’un tournant dans les rapports de force politique locaux. Cela est dû bien sûr en partie aux forts soupçons qui pèsent sur l’implication du pouvoir dans l’assassinat de M. Belaïd, bien qu’aucune preuve formelle n’existe à ce jour. Sa femme, Basma Belaïd, a ainsi directement accusé Rached Ghannouchi, leader d’Ennhada, d’être « l’auteur » de cet assassinat, ce qui a clairement joué un rôle dans l'agitation actuelle. Il y a de plus le problème de fond qu'est la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale qui maintient le pays dans un état de tension permanent. L’ancienne troïka au pouvoir (alliance des trois partis Ennhada, CPR et Ettakatol, NDLR) souffrait par ailleurs de fissures internes de plus en plus visibles.

Les évènements d'hier sont-ils le témoin d'un échec de l'islam politique en Tunisie ?

Haoues Seniguer : Hélas, l'assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du parti des patriotes démocrates unifié, est le point d'orgue d'une situation politique chaotique depuis un certain temps déjà, en raison d'une forme de dérive autoritariste du parti Ennahda et des tensions internes au gouvernement de transition, à la fois sourd aux aspirations populaires et incapable d'y répondre.  L'islam politique, symbolisé par Ennahda, montre ses limites à l'épreuve de l'exercice du pouvoir, et son incapacité flagrante à apporter des solutions concrètes aux gens, préférant se réfugier derrière les questions sociétales alors même que celles-ci alimentent des comportements d'intolérance de la part de ceux qui prétendent être les gardiens de l'ordre moral (salafistes, islamistes, imams autoproclamés, etc).

À cet égard, il est important de souligner que C. Belaïd laissait clairement entendre le 5 février dernier, sur le plateau de la chaîne Nessma TV, à la veille de sa mort tragique, que Ennahda porterait une responsabilité morale indéniable, si des assassinats politiques venaient à être perpétrés à l'avenir, dans la mesure où des "milices" visiblement à la solde du parti islamiste, et appelées pudiquement les "Ligues de Protection de la Révolution" (LPR), exercent un véritable harcèlement psychologique et physique à l'égard des éléments de la société tunisienne supposés être les ennemis de la révolution, parce que opposés à l'incurie du gouvernement actuel et des dérives autoritaristes de Ennahda. Ce parti s'est d'ailleurs empressée de dénoncer l'assassinat ("un crime odieux" selon ses propres mots) de cette personnalité de premier plan, pour ne pas accroître son discrédit et être montrée du doigt dans le pays et à l'étranger. 

Le pays s'enfonce dans le chaos après l'assassinat de Chokri Belaïd, figure emblématique de l'opposition libérale. Alors que le parti au pouvoir Ennahda a abdiqué mercredi soir en faveur d'un gouvernement d'experts, l'avenir politique de la Tunisie inquiète de plus en plus.

sur http://www.atlantico.fr/decryptage/tunisie-est-elle-menacee-guerre-civile-haoues-seniguer-et-beligh-nabli-631230.html#O83CdRLKYkkrpQgP.99 

Rédigé par Gérard Brazon

Publié dans #Le Nazislamisme

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