La justice réparatrice est une monstrueuse confusion. Par Bernard Raquin
Publié le 31 Juillet 2012
Il s’agissait d’une émission de la télévision canadienne. On y voyait les parents d’un enfant assassiné… sangloter dans les bras de l’assassin, qui sanglotait aussi… Cet homme avait violé et assassiné leur petite fille. Et voilà qu’ils pleuraient ensemble, dans une terrifiante confusion psychologique et émotionnelle.
Ainsi donc, par une perversion mentale inédite dans l’histoire de l’humanité, le bourreau et ses victimes partageaient le même deuil ! Ensemble, ils pleuraient la petite fille. Les parents, la leur : martyrisée et assassinée. Et l’assassin, celle qu’il avait violée et tuée. Ils étaient unis, ils fusionnaient, dans le souvenir de la fillette morte !
Tous les 3, les 2 victimes (les parents) et le bourreau (l’assassin) partageaient la douleur d’avoir perdu un être cher, la 3ème victime (l’enfant). Sauf que les parents avaient été privés de nombreuses années de joie, remplacées par une vie marquée de souffrances et de manques.
Et que l’assassin avait décidé que le corps d’une petite fille lui appartenait, pour son plaisir, et qu’il disposait du droit de vie et de mort sur son semblable. Comment en est-on arrivé à un tel délabrement psychologique ? Privés de la distance nécessaire à leur reconstruction, les 2 parents étaient happés dans un maelström émotionnel, certes bouleversant, mais provoquant une confusion hallucinante.
Qu’est-ce que la justice restauratrice ?
L’idée est que si les criminels prennent conscience de l’impact de leurs actes, ils seront moins enclins à la récidive. Et pour cela, on les fait rencontrer des victimes ou leurs familles. Pour les victimes, l’idée est que cela leur permettra de faire le deuil, et de pardonner. Le tout, sur une base de « volontariat », avec toutes les dérives que cette idée implique. Le projet de la ministre actuelle de la Justice, en France, qui veut s’en inspirer, est profondément inquiétant. Pourquoi ?
Parce que les études sur les résultats de la justice réparatrice (ou restauratrice) sont clairement manipulés. Les résultats, très décevants ou perturbants, sont maquillés en réussite. (voir le lien en bas de page sur les limites de la justice réparatrice, facile à décoder malgré une légère langue de bois).
Du côté du criminel :
Sur le criminel, les pressions sont assez faciles. On peut lui faire miroiter n’importe quoi, puisqu’il passe des années enfermé. Son niveau de corruptibilité psychologique est donc très bas.
Pour échapper au train-train des prisons, n’importe quelle « distraction » fait l’affaire. Surtout si cela peut valoriser son image de soi. Et, éventuellement, exprimer ses pulsions sadiques, même dissimulées sous un flot de larmes et de remords. Le risque est même réel, pour le bourreau, d’éviter ainsi la culpabilité (si toutefois il en éprouve, en dehors du bureau du juge et du psychologue !). On lui offre ainsi la chance de transformer la culpabilité en « sincérité » larmoyante. Larmes thérapeutiques, ou auto-apitoiement ?
Beaucoup de criminels, loin de ressentir de la culpabilité, s’estiment… victimes. De la société, de leurs parents, de leur enfance. Ou même, d’eux-mêmes. Ce n’est pas de leur faute, s’ils sont méchants, c’est leur nature, c’est leur identité.
D’autres, et c’est plus fréquent qu’on le croit, sont fiers et satisfaits de leurs actes. Chacun invente mille stratagèmes pour se justifier à ses yeux, et les délinquants sont des experts en la matière. Je ne parle pas ici du « brave type » qui prend un coup de sang, et qui tue quelqu’un suite à un malheureux concours de circonstances.
Je parle de ceux qui ont la mentalité des criminels : ceux qui considèrent qu’il est normal de voler, d’agresser, de violer, de tuer. La délinquance récidiviste est une question de degré, non de nature. Il suffit de lire les faits-divers pour constater que nombre d’assassins ont commencé par voler.
Tous les voleurs ne deviennent pas des assassins. Mais il est rare qu’un criminel devienne directement un criminel : la plupart du temps, il est passé par un apprentissage de la violence, des étapes intermédiaires. Il a ainsi abaissé encore le respect des autres, il a ainsi encore plus déshumanisé les autres, les considérant comme des obstacles à son plaisir (que ce soit un plaisir matériel, sexuel, religieux, politique, ou le plaisir de dominer ou maltraiter autrui…), ou des objets de plaisir dominateur.
L’impunité, ou quasi-impunité, que leur a accordée la justice, durant leur apprentissage de la délinquance, a renforcé leur sentiment d’impunité, et gonflé leur égo. Enivrés d’eux-mêmes, ils deviennent des tyrans.
Comme ils n’ont pas le pouvoir des grands dictateurs de l’Histoire, ils se contentent de tyranniser à leur niveau. Il s’agit d’une tyrannie individuelle, tournée vers son propre plaisir. Tant qu’on ne changera pas leurs croyances par leurs actes, on ne changera rien.
Changer les croyances pour restaurer l’identité des délinquants :
Ce sont les croyances et le rapport aux autres qui favorisent la délinquance. Par exemple, les violeurs considèrent les femmes, ou certaines catégories de femmes, comme des « salopes ». Ainsi, elles sont déshumanisées et classées dans une vaste catégorie informelle. Il s’arroge ainsi le droit de les violer. En leur donnant un statut de « filles faciles » ou de « salopes », il leur donne en réalité un statut de victime légitime, et se dispense de les respecter.
Le tueur en série considère les autres comme des proies, voire même des « ordures ». J’ai vu un reportage sur les tueurs en série, où l’un d’eux utilisait ce langage : après avoir violé, maltraité les femmes, il les tuait et les jetait sur des tas d’ordures, car « c’étaient des ordures, elles ne représentaient rien. » Le voleur considère que les autres n’ont aucun droit de posséder tel objet. Il crée ainsi sa propre loi, et s’approprie le bien d’autrui. Cela devient, à ses yeux, normal.
On constate qu’il s’agit bien de représentations, liées à l’identité. La délinquant exprime la toute-puissance de son identité, et l’identité de la victime est totalement dévalorisée, niée ou méprisée.
Très souvent même, la victime est préalablement considérée comme hostile, justifiant ainsi la maltraitance dont elle sera l’objet… (voir les guerres de religion ou les génocides politiques !) Le vol, la violence, le viol, le meurtre, commencent dans la tête, avant de se manifester dans la réalité.
Du côté des victimes, ravages de la pardonnite.
Pour les victimes, l’entourage, s’il est adepte de la « pardonnite », peut les inciter à pardonner, avec sans doute les meilleures intentions du monde. La pardonnite est une nouvelle manie, d’origine chrétienne, qui incite au pardon, sans se soucier de congruence ou de timing. Dans la pardonnite, le pardon est la seule voie de guérison…
C’est certes charmant dans les discours. C’est noble, c’est beau, c’est généreux. Cela donne une image de gentil. Mais… cela ressort davantage de la confusion mentale, que de l’efficacité thérapeutique. Non seulement parce que le pardon ne guérit pas tout. Non seulement parce que tout n’est pas pardonnable. Non seulement parce que le pardon est l’aboutissement d’un processus interne, qui peut être accéléré, mais non forcé.
Mais surtout, parce qu’il est bien plus sain de renoncer à punir, que de pardonner. Alors que la pardonnite forcenée peut masquer les émotions réelles, le renoncement à punir permet de laisser les émotions négatives dans le passé. Elles restent dans le « grenier » des vieilles émotions, mais ne sont pas éradiquées. Car tout ce qui vise à « tuer, éradiquer » une partie de soi, ne fait que le refouler, pour ensuite le renforcer.
Il est évident, à mes yeux, que les travailleurs sociaux et psychologues, qui soutiennent cette justice dite réparatrice, sont intellectuellement honnêtes. Quoi de plus merveilleux, que de vouloir réduire la récidive ? Quoi de plus nécessaire, de plus urgent ? Quoi de plus émouvant ?
Mais, en voulant que les bourreaux ne récidivent pas, le risque n’est-il pas de condamner la souffrance des victimes, devenue idéologiquement gênante ? En les incitant à la pardonnite, ne les condamne-t-on pas à une double peine, insidieuse, qui va les miner ?
Dans cette idéologie de la justice dit réparatrice, la victime pourrait bien subir des dommages collatéraux supplémentaires : elle est victime, et, comme échappatoire, on lui propose… de pardonner ! Il me semble que c’est de nature à placer la victime en situation de double contrainte, avec les risques de schizophrénie, et de double conscience que cela entraîne.
Le risque est aussi que, refuser de pardonner, continuer à en vouloir au bourreau, devienne « mal vu » : les victimes ne veulent pas faire d’efforts, elles restent dans le ressentiment, elles ne sont pas si gentilles que ça, elles refusent d’écouter les bons conseils… Ainsi, la victime sera… culpabilisée.
Sommés de pardonner pour montrer leur bonne volonté, les victimes peuvent être tentées de fabriquer un masque de bisounours. Elle peuvent pardonner du bout des lèvres. Ou, prises dans le maelström émotionnel évoqué plus haut, elle peuvent fusionner avec le criminel, sacrifiant ainsi leur identité de victime sur l’autel de cette psychologie confusionniste.
Certains, allant plus loin que la pardonnite, incitent même à l’amour inconditionnel. Ce qui, la plupart du temps, est un masque social, voire l’esprit de Munich, le syndrome de Stockholm, ou la peur amoureuse. La soumission au bourreau, loin de l’inciter à la bienveillance, l’encourage au contraire dans ses pires travers. Or, cette pardonnite aiguë est une nouvelle forme de soumission au bourreau. Comme la justice restauratrice incite à la confusion mentale et émotionnelle, le bourreau devient un autre soi-même. Ainsi, la victime se charge d’une partie du statut du bourreau. Elle fraternise avec le bourreau, et s’identifie avec lui.
Elle aussi, a fait du mal, elle est imparfaite, elle a menti, elle a été méchante. Donc elle est proche de l’assassin… « J’ai péché, j’ai péché… mais dis seulement une parole et je serai guéri… » Ce que le Chrétien demande à Jésus… le bourreau le demande… à sa victime. Funeste inversion des rôles !
Le deuil, volé aux victimes, est transformé en nouveau plaisir pour le bourreau.
Lorsqu’on subit un crime, la colère est saine. La colère est un mécanisme de défense, qui permet d’atténuer la souffrance, en la transformant, provisoirement, en haine. C’est pour cela que la justice existe : pour que d’autres personnes, non impliquées émotionnellement, condamnent, au nom de la société, le ou les coupables. Sinon, c’est le lynchage et toutes ses dérives. Car, sur le coup de l’émotion, beaucoup sombreraient dans la vengeance impulsive. La vengeance impulsive est certes une forme de soulagement instantané. Mais qui contient de nombreux germes malsains.
Voilà pourquoi les sociétés civilisées combattent la vengeance, et confient les criminels à des juges, souvent associés à des jurys populaires. Pour décharger le trop-plein émotionnel, il est sain d’en vouloir au bourreau. Bien sûr, cela n’a qu’un temps. Ensuite, d’une façon ou d’une autre, il faut passer à autre chose : renoncer à punir, et pas forcément pardonner. On ne peut rester bloqué toute sa vie sur un drame.
Qu’elle que soit la souffrance, il faut bien en sortir, quitter le passé, et continuer à vivre. La souffrance est une prison, et la victime ne peut y rester enfermée. Ainsi, on peut aider la victime à renoncer à punir, sans lui infliger de contacts pernicieux avec les bourreaux. Ce qui est possible si on place la victime, et non le délinquant, au centre du système judiciaire.
Le problème de la fusion bourreau-victime :
« J’ai compris qu’il y avait un être humain souffrant, et qui souffrait presque de la même façon que moi… On ne savait plus qui était la victime et qui était l’offenseur. » dit la mère d’une autre victime, après avoir rencontré un bourreau. (voir la vidéo québécoise, en fin d’article : « témoignages de participants »)
Fusionner émotionnellement avec son bourreau, me semble encore plus dangereux que de rester dans la colère. Car on risque de finir par le trouver « sympathique », lui trouver des « circonstances atténuantes ». On finira par se rassurer avec ces « explications sociologiques » et ces « portraits psychologiques », dont les experts judiciaires sont friands. « Le pauvre, il a eu une enfance malheureuse. Il a été traumatisé, son père buvait, sa mère le battait. Au fond, il n’est pas si mauvais. C’était une pulsion, c’était plus fort que lui, il n’a pas pu s’en empêcher. »
La réalité, c’est qu’on trouverait, dans le passé de chacun, un événement expliquant tout et son contraire ! Et, tant qu’à faire, pourquoi ne pas se lier d’amitié avec le bourreau ? Pourquoi ne pas en tomber amoureux ? Tu as tué ma fille, mais maintenant on s’aime, faisons un bébé ! Là encore, confusion monstrueuse. On replonge ainsi dans l’une des pires superstitions de l’humanité, illustrée par la pièce grecque Œdipe-Roi, de Sophocle : la prédestination.
Pour les Grecs anciens, comme pour les Sumériens, les hindous, les musulmans et d’autres religieux, tout est déjà écrit par les scribes des dieux, sur des tablettes d’argile. Nous nous contentons de jouer le scénario. Œdipe tue son père, ignorant qui il est, puis épouse sa mère, ignorant qui elle est. Puis, quand il découvre ce qu’il a fait, il se crève les yeux et devient ermite. Par rivalité avec son père ? Non. C’était juste une dispute avec un inconnu. Par désir pour sa mère ? Non par amour pour une femme, ignorant qui elle était. Pourquoi, alors ? Parce que c’était écrit. Œdipe-Roi illustre les funestes ravages du concept de prédestination, qui enlève à l’humain sa responsabilité, puisque, ultimement, tout ce qu’il vit ne lui appartient pas.
Pas de hasard ?
Aujourd’hui, beaucoup de psys et thérapeutes répètent à l’envi qu’il n’y a pas de hasard, et qu’on n’est pas victime par hasard. Ainsi, victimes et bourreaux deviennent des acteurs de la prédestination, acteurs qui se cherchent, et finissent par se trouver. S’il est évident qu’une personne souvent victime l’a peut-être provoqué, être victime occasionnelle n’implique en rien, à mes yeux, de l’avoir cherché, ou d’y avoir consenti. Cela explique le nombre élevé de « gens bien », victimes sans l’avoir voulu, ni mérité. Tout le monde peut être victime, par hasard.
Ce n’est que lorsqu’il y a propension à être victime, qu’il faut entreprendre un travail thérapeutique. Vous avez été victime ? Vous n’y êtes pour rien. Vous êtes souvent victime ? Dans ce cas, agissez pour changer de croyances et de comportements.
Les vrais problèmes posés par la justice réparatrice sont encore plus graves.
Le problème de la « pardonnite » aiguë.
Sous prétexte de pardon, on disculpe en partie le bourreau, qui utilisera tous les stratagèmes pour atténuer sa responsabilité, aux yeux de ses victimes, et à ses propres yeux. Comment en vouloir au bourreau, puisque même sa victime lui pardonne ? Redoutable rhétorique, n’est-ce pas? Les criminels ne manqueront pas de s’engouffrer dans cette brèche complaisamment offerte. Le moyen de ne plus souffrir est de renoncer à punir, et non de pardonner :
« Je ne suis pas Dieu, je ne suis pas le Grand Pardonneur. Je ne suis pas non plus le grand Justicier, chargé de faire payer les autres. Si je peux pardonner un jour, je le ferai. Mais ce que je peux faire maintenant, c’est renoncer à punir le mal qu’on m’a fait. Que d’autres, la vie, la société, les juges, s’en chargent. » Renoncer à punir l’autre est beaucoup plus efficace que le pardon. Car il permet de garder une part de colère, qui empêchera un masque social de se former.
Avec le temps, la colère s’apaisera. Mais elle restera disponible, en réserve, pour transformer les retours de la souffrance en colère passagère… qui s’apaisera. Je suis d’ailleurs persuadé que les rares cas où la justice réparatrice fonctionne, c’est lorsque les victimes renoncent à punir, sans pour autant pardonner en intégralité. Mais, pour renoncer à punir, il est encore plus indispensable de faire une séparation entre la victime et le bourreau. C’est encore plus vrai lorsque le bourreau est un proche, dans les cas d’infanticide, de parricide, de matricide, ou de crime passionnel.
Si on connaît ou aime le bourreau, il est encore plus indispensable de prendre ses distances : donc, après la stupeur et l’incompréhension et la colère, puis après le temps nécessaire pour chacun, le renoncement à punir.
Le problème de la confusion bourreau-victime.
Cette confusion entre le bourreau et la victime, largement répandue chez les thérapeutes américains, se diffuse au Canada et en Europe. Nous sommes tous coupables ! Retour aux vieux mythes judéo-chrétiens, réapparus sous une autre forme. Ce n’est plus « le péché originel », c’est intrinsèque. Nous sommes donc tous… des pécheurs, peut-être même des criminels. Et cette identification au bourreau me semble dommageable.
Non seulement parce qu’elle n’est pas réelle : nous ne sommes pas des criminels, mais au contraire, nous sommes, pour la plupart, des gens respectant la vie des autres. Mais aussi parce qu’elle atténue la responsabilité du bourreau. Au fond, il est comme nous, juste un tout petit peu pire… Quant au bourreau, il lui est très facile de feindre de regretter, pour se soulager, pour obtenir quelques avantages matériels, ou pour améliorer l’image de soi.
Il peut accepter de rencontrer ses victimes pour plusieurs raisons : pour se distraire, pour obtenir des aménagements ou des remises de peines, pour trouver des raisons de se disculper à ses yeux, pour minimiser la portée de ses actes, par pulsion sadique, pour avoir le plaisir de faire souffrir davantage ses victimes ou leur famille, pour se repaître de leur souffrance, même en montrant le contraire.
Exceptionnellement, par authenticité. Mais dans ce cas, s’il veut vraiment s’amender, nul besoin de rencontrer ses victimes. Il peut simplement le démontrer par ses actes : par exemple, travailler en prison et envoyer tout son argent aux familles des victimes, ou à des associations d’aides aux familles de victimes.
La guérison passe par le maintien de la séparation des statuts et des rôles :
Pour guérir, il faut que les victimes s’identifient comme victimes, et que les bourreaux soient reconnus comme bourreaux par la société, et par leurs victimes. Sinon, il s’agit encore de cette pensée magique, qui veut abolir le hasard, au profit de la prédestination.
Dire que, d’une façon ou d’une autre, la victime est coupable ou responsable, n’est qu’une variante de la pensée machiste « elle a été violée, elle l’a bien cherché ». Et certains psys ajouteront « au moins inconsciemment ! » Le voleur, pris sur le fait, nie, pleure, se met en colère, ou même accuse sa victime : « Tu n’as qu’à faire plus attention. » Le machiste qui veut coucher avec une fille, si elle refuse, la traite de pute… Spontanément, le délinquant a tendance à accuser sa victime. La justice dite réparatrice lui offrira un boulevard. Et plus le délinquant est intelligent et pervers, plus il jouira d’être le centre d’intérêt, et pourra manipuler à son aise.
Les risques des dérives de cette justice dite réparatrice :
En France, une idéologie largement répandue conteste aux bourreaux leur statut de bourreaux. Les délinquants sont largement considérés, par les travailleurs sociaux, par les politiciens, par les psys, par les juges, comme des victimes de la société, de leur éducation, voire de la misère. Ainsi leurs victimes ont pris la place des… bourreaux. Il s’agit d’un déni de réalité.
La misère ne fabrique pas la délinquance. Dans les régions les plus pauvres de France, la délinquance est largement réduite. Ce sont les mentalités et les croyances qui fabriquent la délinquance, et non les situations ethniques ou sociologiques.
(voir les 2 vidéos en bas d’article, avec Xavier Raufer)
Risques de dérives de verbiage :
Le risque qu’on produise de nombreux documents en novlangue est réel. Quand vous pensez qu’en France :
- on oblige des enfants de 4 ans à dire « outil scripteur » pour dire « crayon » ;
- des idéologues enseignants ou syndicalistes utilisent un jargon complexe pour désigner des choses très simples ;
- la psychiatrie est largement investie par les théories freudiennes et lacaniennes, avec des élucubrations sophistiquées, pourtant démenties par toutes les études comparatives avec l’efficacité des thérapies psycho-cognitives ;
- les Français, culturellement, sont obligés de paraître « intelligents », et donc ont tendance à utiliser des terminologies et des « explications » à la place de l’action, rejetant l’efficacité ou le langage direct ;
- enfin, que la mentalité française a fortement tendance à imposer la bienpensance bureaucratique, au détriment de la réalité…
… le risque est immense que ce « pardon » soit obtenu sous la contrainte, par la manipulation, la pression amicale et la séduction. Il aura alors, autant de valeur que les « aveux » obtenus par la torture ou la menace. On nommera des experts, on créera des commissions. On biaisera les résultats, comme au Canada, au service de l’idéologie du moment. Et cela ne fera que renforcer l’impunité (et pas seulement le sentiment d’impunité) des délinquants.
Comment aider les criminels ?
Il existe, à mon avis, 2 mondes qui ne doivent pas se côtoyer. Le monde des victimes, qui peuvent être aidées par les associations d’aides aux victimes, très efficaces aux États-Unis et ailleurs. Et le monde des bourreaux, qui peuvent être aidés par des thérapeutes directs, des gens qui disent les choses sans masque, sans « explications », sans tourner autour du pot.
Ce genre de thérapeutes existe aussi aux USA. Ils sont capables de dire à un tueur : « Tu es un enfoiré, et tu peux jouer les caïds, un jour ou l’autre tu devras accepter l’idée que tu es un enfoiré, une petite merde, un trou du cul ! » (propos authentiques, évidemment tenus par des thérapeutes expérimentés, et qui ont, au préalable, établi un rapport humain avec le détenu. Ce choc identitaire débouche ensuite sur la reconstruction de l’identité du criminel.) On le voit, ces méthodes modernes sont à l’opposé de la psychanalyse.
Je crois, hélas, que la France n’est pas prête pour envoyer ce genre de thérapeutes dans les prisons. Il sera plus chic, plus dans la bienpensance, plus bisounours, plus rentable idéologiquement, de rédiger des rapports à la phraséologie chatoyante, pour éviter de se confronter à la seule question qui vaille : Comment préserver les victimes des crimes des prédateurs, en pensant tout le système autour des victimes. Thérapies pour les victimes, sans contact avec les bourreaux. Thérapies actives pour les bourreaux, sans contact avec leurs victimes.
Il existe déjà un chemin, pour le criminel.
Ce chemin n’est PAS le repentir, qui peut être feint. Le repentir n’est que la première étape du processus. Ce chemin, c’est la réparation. Et NON de se faire pardonner. Se faire pardonner est en effet un bénéfice collatéral injustifié. Le coupable en est le bénéficiaire illégitime.
Il existe un chemin, pour la victime :
Si une victime veut renoncer à punir, qu’elle le fasse pour elle-même, seule ou de préférence avec ses proches, dans une cérémonie de renoncement à punir. Elle met en scène son appartement, ou autre lieu dans la nature ou un lieu de culte : fleurs, bougies, encens, musique, tout ce qu’elle souhaite y apporter, ainsi que des objets qui peuvent être apportés par ses amis et proches.
Une cérémonie publique, solennelle, en présence de soutiens affectifs, est bien plus efficace qu’une cérémonie intime avec soi-même. La déclaration et l’engagement publics créent une nouvelle réalité. Elle raconte une dernière fois, brièvement, sa souffrance. Elle exprime sa gratitude à la personne qui a été tuée.
Et, solennellement, avec le soutien amical de ses proches, elle déclare à voix haute : « Je renonce à punir ceux qui m’ont fait du mal. Je renonce à me punir. Je veux vivre, pour porter en moi l’amour de la personne disparue. Je continue à vivre, car l’amour de cette personne est dans ma chair, dans mon sang, dans ma mémoire et dans mon âme. Merci à vous tous de m’avoir soutenu. Maintenant, je laisse le passé dans le passé, et j’avance dans la vie, avec tout ce que j’ai vécu, tout ce qui fait qu’aujourd’hui, je suis moi. Merci à l’amour, merci à Dieu (ou à la nature, à l’univers) de ce que vous m’avez apporté. Que l’amour de la personne disparue illumine mon cœur, afin que j’illumine le monde. Merci. » Et cela, en tout cas, loin de son bourreau ou des bourreaux.
Comment réparer l’irréparable ?
On ne fera pas revenir à la vie la personne tuée. Mais il existe des moyens de réparer, auprès d’autres victimes. Sans la réparation, le repentir est vain. Au pire, simulacre. Au mieux, inutile.
Tant que le délinquant, quelle que soit la nature de son crime, ne s’engagera pas, physiquement, en actes, dans la réparation, le risque de récidive sera très élevé. C’est donc au bourreau de s’excuser, et de réparer. Et quoi qu’il advienne, de payer le prix de ses délits. (avec toutes les nuances, bien sûr, estimées par le juge d’application des peines, qui ne doit plus être un de ces juges-bisounours, qui relâchent les criminels et donc encouragent le crime. Mais qui doit punir ceux qui récidivent et qui ainsi, déshumanisent de plus en plus leurs victimes.)
Placer le délinquant au centre du système judiciaire est le plus mauvais service à lui rendre.
Quant à la société, elle doit s’occuper en priorité des victimes, trop souvent délaissées. La justice, en France, en Belgique et dans d’autres pays, ne retrouvera sa dignité que quand la victime en sera le centre. Quand tout sera fait et pensé pour la victime. Le centre de réflexion de tout ministre de la justice respectueuse des gens, de tout psy, de tout travailleur social, de tout personnel pénitentiaire, doit être la VICTIME. Ainsi, la victime étant au centre du système judiciaire, on pourra trouver les moyens d’aider les criminels qui veulent changer, et qui le prouvent par leurs actes.
Bernard Raquin
Efficacité très relative de la justice restauratrice :
http://www.semainedesvictimes.gc.ca/pub/arlg_1.html
La délinquance juvénile :
http://www.youtube.com/watch?v=uhQuzrLUFqs
Ce n’est pas la pauvreté qui provoque la délinquance :
http://www.youtube.com/watch?v=0JAnjn55nL8
Témoignage de participants au programme de justice réparatrice canadienne :