Débat sur la circoncision. Par Patrick Clément- Djamila Gérard
Publié le 17 Juillet 2012
Patrick Clément
C’est un scoop que j’ai le privilège de vous annoncer : Dieu n’a jamais demandé à qui que ce soit d’être circoncis pour témoigner de sa foi en lui.
Le tribunal de grande instance de Cologne, en stipulant que « le corps d’un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision » pose un postulat de bon sens. L’intégrité corporelle de l’être humain vaut pour tous. Un rituel religieux ne peut y déroger dans la mesure où celui qui subit cette atteinte à son intégrité physique n’est pas en mesure de manifester sa propre volonté puisque, bien souvent, tout jeune enfant encore. Il en irait différemment à partir du moment où la société estimerait que c’est un choix fait en toute conscience, donc à partir d’un certain âge, et encore dans certaines limites. En dehors des juifs et des musulmans, les américains par exemple pratiquent à l’âge adulte la circoncision, pour certains d’entre eux du moins, pour des motifs hygiéniques.
Le miracle, le vrai miracle disons-le, c’est qu’en ce début de siècle et de nouveau millénaire, la question ait enfin pu être posée, voire tranchée… provisoirement, pour mettre un terme à ce qui fait partie de pratiques rituelles ne relevant que de simples convenances même si celles-ci se drapent du manteau religieux pour mieux les faire accepter. Alors, certains argueront du risque de mettre à bas toute pratique religieuse. Non, je ne le pense pas. Ainsi, un bébé catholique peut être baptisé sans que cela n’affecte son intégrité physique, même si l’on pourrait de même affirmer qu’il n’est pas en mesure de manifester sa propre volonté mais cela répond à un désir des parents, parfois d’ailleurs pour le « protéger ». De plus, adolescent, et plus encore, adulte, libre à lui de renoncer, voire renier, cette religion dans laquelle ses parents l’auront élevé. Mais il pourra le faire sans avoir à supporter une marque physique qu’il n’approuverait pas et qui serait irréversible à moins d’une chirurgie réparatrice complexe et coûteuse. Que chaque religion se place dans une telle posture.
Le bon sens commande donc de poser les bonnes questions en fonction de l’état d’avancement de notre civilisation. Avant que la circoncision ne soit reprise par la religion juive, celle-ci avait déjà des adeptes dans le monde antique. Soit, si cela relevait de leur libre volonté. Qu’une religion décide que cela devient un signe d’appartenance à sa foi en Dieu, pourquoi pas. Cela n’a pas beaucoup de sens selon moi car on imagine bien avec un tout petit peu de réflexion, même dans une démarche portée vers la croyance en un être divin ou une force supérieure, que ce n’est certainement pas Dieu qui se mêlerait de ce genre de considérations pratiques de la vie quotidienne qui relèvent manifestement de rituels humains visant à consolider le sentiment d’appartenance à telle ou telle communauté. Par contre, on peut comprendre que cette dimension pouvait trouver un enracinement à une époque pétrie de ce genre de croyances et de rituels de toute sorte.
Au-delà de cet épiphénomène au sens de la marche du monde, cela nous oblige à poser la question des religions dans notre société et dans notre civilisation eu égard à nos connaissances et par extension à notre perception que l’on peut désormais avoir du sens de la vie et de la compréhension de l’univers. Le besoin de croire étant si fortement ancré dans les gênes humaines qu’il n’est pas question de remettre radicalement en question l’adhésion à une religion. Notre révolution de 1789 et, par exemple aussi, le régime soviétique, ont apporté la preuve de l’impuissance d’une telle décision autoritaire, vouée à l’échec. Et ce d’autant plus que, si notre progression dans la recherche de la vérité n’est pas contestable, celle-ci ne nous permet pas, certains diront hélas, de proposer au stade actuel des affirmations incontestables sur ce qui anime la Vie. Par contre, notre conscience de l’humain et de ce qui est constitutif de la liberté humaine nous oblige à poser les bonnes questions quitte à remettre en cause quelques croyances ancestrales qui trouvent leur fondement dans des pratiques s’inspirant pour certaines de considérations proches de l’élan mythique.
Pour ma part, je plaide pour qu’un débat serein, sans tabou, permette d’aborder toutes les questions, quitte à accepter l’idée que du temps soit nécessaire pour faire évoluer les mentalités. Vous trouverez dans mes précédents textes des engagements en ce sens, notamment en matière de pratiques alimentaires que nous commanderaient Dieu… Par pitié, ne cédons pas à l’appel au silence qu’agitent inexorablement ceux qui crient à l’intolérance, qu’ils se classent d’ailleurs dans les rangs des défenseurs des rituels religieux ou des partisans laïques que l’on avait connu d’ailleurs moins conciliants en d’autres temps vis-à-vis de la religion chrétienne. Un ange passe !
Alors, même si un front uni se constitue du côté des gardiens de ces rituels, quels qu’ils soient, toutes religions confondues, je maintiens que la raison commande de permettre au débat d’exister pour faciliter des prises de conscience dont on serait peut-être surpris de constater qu’elles ont un large écho auprès de l’opinion publique pour autant que chacun puisse s’exprimer sans ostracisme.
Merci par conséquent aux juges de Cologne de rappeler que l’intelligence se manifeste à toutes les étapes de la construction de notre civilisation et peut nécessiter de remettre en question des convictions acquises en d’autres temps et perpétuées sans réflexion, au sens propre du terme, mais par pure tradition. Notre leitmotiv est de favoriser la claire conscience de ceux qui acceptent d’adhérer à telle ou telle pratique religieuse, qu’ils le font dans une démarche de foi et, surtout, de s’assurer que chacun peut s’engager dans cette voie de sa propre initiative, donc en pleine possession de ses moyens intellectuels et sans avoir eu à subir à vie une marque physique qu’ils auraient pu n’avoir pas souhaitée.
Est-ce si scandaleux de poser cette question et d’envisager des limites aux pratiques religieuses qui doivent s’inscrire fondamentalement dans une démarche de civilisation qui peut occasionner des zones de friction effectivement ?
Vous l’avez compris, pour ma part, je ne le pense pas, ce qui ne m’empêche pas de respecter toutes les démarches exploratrices, quelles qu’elles soient, proposant une voie de compréhension de la Vie et du sens de la Vie. Evidemment, cela peut se heurter à une vérité dite révélée, devenue par conséquent indépassable aujourd’hui pour certains.
Djamila Gérard
J’entends les débats passionnés (et parfois irrationnels) provoqués par cette affaire en France, en particulier dans les colonnes de Riposte laïque. Les controverses sont encore plus âpres outre-Rhin. Sans entrer dans ces dialogues de sourds de toute façon stériles, je voudrais simplement remettre quelques pendules à l’heure et « contextualiser » le jugement allemand.
Le 26 juin, suite à la circoncision religieuse et sans motif médical d’un enfant musulman de 4 ans, le tribunal de grande instance de Cologne rendait publique une décision jugeant que l’ablation du prépuce pour motif religieux était une blessure intentionnelle, et était donc illégale. Le tribunal a affirmé que le droit d’un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents. C’est tout.
Mais on a immédiatement fait dire à ce jugement ce qu’il ne disait pas. Quelques exemples, et en commençant par le pire.
1. Le tribunal veut supprimer le judaïsme en Allemagne. J’ai même entendu parler de « nouvel Holocauste », ce qui est abject. Le tribunal ne s’est aucunement prononcé sur le droit de pratiquer ou non une religion.
2. Le tribunal veut supprimer la circoncision religieuse. Absolument pas. Il ne parle que d’enfants, mais n’interdit pas aux adultes de se faire circoncire pour raison religieuse ou non.
3. Le tribunal veut empêcher les parents de donner une éducation religieuse à leurs enfants. Là encore c’est parfaitement inexact.
Je pourrais continuer la liste des faux griefs contre la décision du tribunal de Cologne, comme si soudain l’Allemagne serait devenu une Union Soviétique où toute religion serait interdite. C’est grotesque.
Mais ce qui est également intéressant, c’est de remettre cette décision dans le contexte allemand.
D’une part, en Allemagne (comme dans plusieurs pays nordiques), le droit de l’enfant est sacré, d’autant plus que les Allemands font peu d’enfants. Il y a donc un respect de l’intégrité de l’enfant et de son bien-être.
D’autre part, la décision concernait la circoncision d’un enfant musulman. Or la société allemande est de plus en plus opposée au « multiculti » dont même des personnalités politiques telles que Madame Merkel reconnaissent et condamnent l’échec.
En liant ces deux éléments contextuels, il n’est donc pas étonnant de voir que 56% des Allemands (contre 35%) approuvent la décision du tribunal de Cologne. Il ne n’agit pas de racisme, mais de préservation d’une culture et de valeurs (un peu comme nous, en France, nous défendons la laïcité contre des offensives religieuses).
Pour donner une autre comparaison, il ne viendrait pas à l’idée des gouvernements ou des tribunaux français ou allemands de reconnaître et d’autoriser la polygamie et la répudiation, qui sont pourtant des éléments du dogme musulman. Cela démontre que les dogmes religieux peuvent évoluer ou se contextualiser.
Du reste, aux États-Unis où les mouvements anti-circoncision sont très développés, des juifs progressistes ont décidé de remplacer la circoncision des enfants par une cérémonie sans circoncision, une sorte de « baptême ».
Suite à la décision judiciaire, les médecins allemands (y compris juifs) ont renoncé à toute circoncision religieuse d’enfants afin de ne pas être hors la loi. Certes on ne leur chercherait pas de noises pour une circoncision se passant bien, mais en cas de complication leur responsabilité serait pleinement engagée et les assurances refuseraient de couvrir. Les circoncisions religieuses d’enfants sont ainsi totalement arrêté depuis le 26 juin. (Sauf les circoncisions clandestines qui feraient courir encore plus de risques à leurs auteurs.)
Les communautés juives et musulmanes harcèlent le gouvernement et le parlement allemand pour qu’il « casse » la décision du tribunal de Cologne, si possible en légiférant. Des groupes musulmans menacent de manifestations et de prières de rue… ce qui n’aurait qu’un effet contre-productif pour leurs causes. Les juifs jouent plutôt le lobbying (centre Wiesenthal, ambassade d’Israël, etc.)
Le ministre des Affaires étrangères a pris ses distances avec le jugement. Mais on voit mal quel pourrait être la teneur d’un projet de loi. Assurer la « liberté religieuse » ? C’est déjà le cas ! Créer une dérogation pour la circoncision religieuse des enfants ? Ce serait une loi de circonstance anti-laïque, et qui irait contre ce que j’ai dit sur les Allemands (droits de l’enfant, condamnation du « multiculti » et donc en l’occurrence d’un « accommodement raisonnable »).
La situation juridico-politique semble donc bien bloquée, et il est d’ailleurs à noter que depuis le jugement il y a plus de deux semaines, la presse allemande continue de parler de « âpres débats » sans que s’ébauche un début de solution ou de compromis.
J’espère avoir fait un point de la situation sans entrer dans la polémique stérile, et en expliquant bien les faux procès fait au tribunal de Cologne et à nos amis allemands. C’est dans le respect mutuel que les choses pourront évoluer. Et le premier respect doit être pour les valeurs du pays d’accueil pour les musulmans. Quant aux Juifs qui vivent de longue date en Europe, ils ont su adapter leurs lois religieuses aux pays où ils vivent. On ne comprendrait pas pourquoi il y aurait une exception pour le respect de l’intégrité physique de l’enfant.
Djamila GERARD
P.-S. : Nous apprenons que des rabbins orthodoxes venus de toute l’Europe ont appelé à Berlin à poursuivre clandestinement les circoncisions des enfants en Allemagne. Il s’agit là d’une attitude extrémiste et fondamentaliste qui ne peut que mettre en danger ceux qui se livreraient à de tels actes. C’est parfaitement irresponsable et ça ne va pas dans le sens de l’apaisement souhaitable. Espérons que la communauté juive d’Allemagne condamne ces extrémismes contre-productifs.