Débat Eurabia : ma réponse à Pascal Hilout -par Bat Ye'or
Publié le 5 Avril 2012
Cher Pascal Hilout, merci de me donner l’occasion de clarifier ma pensée. Eurabia n’est pas une théorie que j’aurais inventée. C’est une réalité, comme la dhimmitude, qu’il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas apercevoir.
Mon livre Eurabia (édition anglaise 2004) n’entendait pas préconiser des mesures politiques puisqu’à l’époque l’objet de ce mot n’existait même pas dans la conscience de la société. Ce livre se limitait à explorer les éléments d’un article du même titre publié en 2002. Il répondait aux questions que je me posais dans mon livre Les Chrétientés d’Orient entre jihad et dhimmitude, (Le Cerf 1991) dans le chapitre Dhimmitude de l’Occident (p.256). Questions que je reprenais et développais dans Juifs et Chrétiens sous l’Islam, les dhimmis face au défi intégriste (Berg international 1994). Plusieurs chapitres examinaient les stratégies et les tactiques de la dhimmitude européenne moderne au niveau politique, théologique et international. Ils citaient la culpabilisation de l’Occident et son instrumentalisation avec ses mythes (Andalousie), ses réseaux, ses symptômes en Europe—terrorisme et insécurité—et se concluaient par une thématique de la dhimmitude européenne permettant de définir ses caractéristiques.
Ma démarche ne fut pas celle d’un politicien sûr de ses repères et engagé dans l’action immédiate, elle fut celle d’un chercheur et d’un analyste toujours armé du doute, défrichant comme pour la dhimmitude, un terrain vierge auquel il fallut donner un nom, des contours et marquer ses spécificités afin de le reconnaître. Ma recherche sur l’évolution de l’Europe s’inscrivait dans le domaine du ‘pourquoi’ et des ‘comment’, elle ne préconisait pas des mesures politiques mais sa démonstration en suggérait la nécessité.
La complexité des sociétés modernes exige des démarches différentes. Le Mal ne se loge pas dans un seul élément, son ubiquité lui confère plusieurs déguisements. Et ce spectre cohérent, cette construction théorique que me reproche Pascal Hilout n’en est pas moins la cause principale et la dynamique qui forgèrent Eurabia. Aucun facteur n’obligeait l’Europe riche et puissante des années 1960s à construire sa politique étrangère commune sur la résurgence volontaire du pacte islamo-nazi des années 1930 qui servit de marchepieds à Eurabia par la construction de la Palestine en lieu et place d’Israël, l’engageant dans la voie d’une autodestruction programmée. La crise du pétrole ne fut que le prétexte pour inaugurer une nouvelle stratégie de la Shoah qui d’ailleurs dû procéder dans les coulisses officieuses de la politique, compte tenu des oppositions. Un livre récent de Bruce Bawer, démontre la prégnance de l’héritage nazi aujourd’hui même dans les élites politiques, culturelles et les médias de Norvège.
Contrairement à Hilout je pense qu’il est vital de comprendre que les affres de la dhimmitude vécus en Europe résultent d’une décision délibérée, libre, choisie et voulu de ses élites. Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Le Mémorandum conjoint issu au Caire en 1975 entre la CEE et les pays arabes est considéré comme la Charte du Dialogue euro-arabe; il affirme que ce Dialogue est le fruit d’une volonté politique commune qui s’était dégagée au niveau le plus élevé et dont l’objet était l’établissement de relations spéciales entre les deux groupes. Hans-Dietrich Genscher, ministre des Affaires étrangères de la RFA, le rappelait encore en 1983 au symposium de Hambourg. Il soulignait que la Déclaration de Venise de juin 1980 où la Communauté européenne exigeait d’Israël une reddition suicidaire, avait ouvert des perspectives d’avenir encore plus prometteuses. Incidemment cette Déclaration détermine jusqu’à aujourd’hui toute la politique de diffamation et de diabolisation de l’UE contre l’État hébreu.
Les faits sont les conséquences des politiques et l’accumulation de leurs descriptions sans en donner l’explication ni la source demeurera inefficace tant que les politiques qui les motivent et en sont à l’origine ne seront pas modifiées. Les responsables politiques lanceront contre les protestataires leurs limiers et leurs fatwas et les feront taire par une campagne de criminalisation, des procès ruineux et l’ostracisme professionnel. Il suffirait d’une action ayant mal tournée d’un agent provocateur pour déclencher le processus d’Oslo d’une chasse aux sorcières contre les contestataires de la pensée unique.
Il importe de connaître et de décoder les documents par lesquels Eurabia se dévoile et s’exprime afin de la neutraliser avec les outils de la démocratie et du droit et non ceux de la violence et de la terreur. Si l’on ne connait pas, par exemple, les projets de l’Alliance des Civilisations consistant à promouvoir sous divers prétextes l’immigration musulmane en Occident, particulièrement dans les universités, ou l’accession des migrants aux fonctions de prise de décision, et que l’on ignore que l’OCI en est l’instigatrice, on en sera réduit à constater trop tard les effets. Les décisions de l’UNESCO éliminant la mémoire historique du Judaïsme et du Christianisme par l’islamisation de leurs sites historiques n’ont fait nulle vague en Occident pourtant elles consacrent le remplacement des critères de la connaissance par ceux de la foi islamique et les affirmations du Coran.
Je ne partage pas la vision idyllique de Hilout sur les civilisations païennes et polythéistes. Certes ces peuples nous laissèrent d’admirables chef-d’œuvre mais ils étaient eux-mêmes assujettis à des religions et des rites barbares fondés sur l’esclavage, le mépris de la vie humaine, les sacrifices humains, l’immersion collective dans des cuves de sang, le massacre des enfants, etc. César ne tolérait pas le refus de son origine divine et le manifestait par les piquets qui hérissaient la Judée où agonisaient, crucifiés, des milliers de juifs rebelles ainsi que par les massacres des chrétiens livrés aux bêtes féroces des jeux du cirque. Par trois fois au XXe siècle l’Europe se débarrassa de l’héritage judéo-chrétien. Elle célébra son retour aux dieux barbares par le nazisme, la guerre et le génocide du peuple d’Israël. Dans le communisme, l’enterrement de Dieu libéra Satan et les pulsions criminelles des génocides. La troisième fois elle planifia Eurabia par l’alliance des totalitarismes nazi, communiste et islamiste dans la nouvelle civilisation méditerranéenne.
Je ne partage pas non plus son opinion sur «toutes les religions se valent ». Par contre je reconnais qu’elles véhiculèrent souvent, l’intolérance, le fanatisme, la violence et des tendances humaines criminogènes et pathologiques. Ces aspects cependant ne doivent pas dissimuler les principes universels enseignés par la Bible : l’égalité des êtres humains (Lévitique), la sacralité et l’intangibilité de la vie (les Dix Commandements), la liberté de l’homme (Exode), le libre-arbitre et ses corollaires: le choix, la responsabilité et le repentir- la liberté de pensée et la contestation sociale, l’amour du prochain et l’aide aux démunis (Lévitique), les bénédictions sur l’humanité (Isaïe), l’acceptation des différences religieuses (lois noachides), la justice non conditionnée par un monopole exclusif idéologique et représentée universellement dans les diverses nations par leurs Justes, la séparation de la religion et de la politique, l’indépendance de la justice, le compagnonnage et l’association de Dieu et de l’homme dans l’œuvre de perfectionnement de l’humanité, le repos hebdomadaire, etc. L’ancrage du Christianisme dans la Bible et l’histoire d’Israël a rendu ces principes universels.
L’islam diffère des religions de la Bible ou asiatiques par son idéologie politique de domination mondiale et son intolérance des autres. La sacralité intangible de la vie y est remplacée par une tolérance conditionnée à son monnayage corrélé à une humilité et une ignominie obligatoires, ce qui n’est pas le cas des autres religions. Tout en reconnaissant la part de préjugés millénaires de chacune, il convient d’éviter le relativisme religieux et le mythe des paradis païens perdus afin de ne pas retomber dans les charniers du XXe siècle. Très humblement je ne m’estime pas compétente pour transformer la religion d’un milliard et demi de Musulmans. Les reproches que me fait Hilout sont infondés car dans deux livres français précédents l’analyse fouillée de la dhimmitude mettait en évidence l’islamisation moderne de l’Europe. Dans Eurabia, je n’ai pas jugé nécessaire de répéter la même analyse, mais j’ai préféré en chercher les causes. J’ai pu constater qu’il existe une autorité coordinatrice du monde musulman ordonnant son ré-enracinement dans le Coran et la Sunnah, la politique de substitution démographique et culturelle et la discrimination positive en Occident—c’est l’OCI.
Je reconnais la valeur et le courage du combat de Pascal Hilout, j’ai choisi un autre chemin, celui de la recherche, de la défense des fondements de la civilisation par la clarification des concepts et l’explication rationnelle des grands enjeux spirituels de notre siècle. Le combat contre la subversion de la connaissance, de la vérité et des valeurs pour les rendre compatibles avec l’islam, me paraît crucial pour la survie de la liberté et de la dignité de l’homme.
Bat Ye’Or