Bernard-”Henri” Lévy, le “Fric” et “l’Afrique”.
Publié le 31 Juillet 2012
C’est fou ce que l’on trouve dès que l’on essaye de s’intéresser un peu à un personnage… Des articles, des extraits de livre tout à fait sérieux dont pourtant nous n’avons jamais entendu parler, ou presque pas… Disons que nos chers médias ne leur ont pas donné grande importance… Sans doute par “déontologie”, un peu à la mode DSK… Ainsi cherchant des informations biographiques sur la vie de Bernard-Henri Lévy, je me rends compte que la fiche Wikipedia ne comporte aucune information sur son enfance, sur ses parents… Or, moi, ça m’intéresse toujours de savoir d’où viennent les gens pour les comprendre… Du moins essayer dans ce cas précis.
Donc, quand je ne trouve pas, je cherche je cherche… Et la magie du web fait le reste : je trouve !
Quelle ne fut donc pas ma surprise de découvrir un extrait d’un livre “(BHL) Une imposture française” et un article de “l’Express” où l’on apprend le passé affairiste de la famille Lévy, l’exploitation des bois africains et, si l’on en croit ces sources, des africains eux-mêmes, les interventions de Bernard auprès de ses amis politiques pour sauver la société de papa alors près de la faillite (et son héritage, il est désormais à la tête d’une petite fortune grâce à cela et peut donc mépriser les valeurs de l’argent en toute sérénité), son rôle actif au sein de cette même entreprise, ses accommodements avec M. Pinault malgré son passé Le Péniste… Bref, une belle leçon de morale que je vous fais partager en reproduisant les deux extraits dont vous pourrez trouver les originaux en références !
(BHL) Une imposture française, Deuxième partie, Chapitre 3, extraits:
« L’homme qui exploitait la forêt africaine, mais qui ne voulait pas que cela se sache. »
L’activité d’homme d’affaires de Bernard-Henri Lévy est un terrain d’investigation qui jusqu’ici n’avait pas droit de cité dans les journaux. En mars 1998, Entrevue décide d’envoyer une équipe enquêter sur la Becob, une entreprise spécialisée dans le commerce du bois, fondée par André Lévy, père de l’écrivain, et dirigée deux années durant par Bernard-Henri Lévy, seul aux commandes avec sa mère. A la date de l’enquête d’Entrevue, l’écrivain vient juste de revendre l’entreprise familiale à François Pinault.
Pour savoir comment cette entreprise d’exploitation de bois de trois milliards de francs de chiffre d’affaires a bien pu être gérée par l’icône de Saint Germain des Prés, une équipe de reporters est envoyée en Côte d’Ivoire pour enquêter sur Sivobois, une filiale locale des Lévy. Les journalistes d’Entrevue arrivent en plein conflit social ! A Sivobois, les travailleurs se plaignent des retards de salaires et leurs banderoles dénoncent des conditions de travail « esclavagistes ». Reste à recueillir les explications de l’écrivain-manager.
Pourquoi les ouvriers ivoiriens ne sont-ils payés qu’irrégulièrement ? Combien rapportait cette filiale ? L’écrivain improvisé forestier s’est-il déjà rendu sur place ? Au téléphone, Bernard-Henri Lévy écoute. L’écrivain tente des réponses convenues. « Et puis soudain, il me dit qu’il arrête tout et, très en colère, me raccroche au nez », se souvient Zemouri.
L’article sur l’écrivain-forestier ne paraîtra jamais. Le lendemain, Hervé Hauss, le rédacteur en chef du magazine, vient trouver les reporters : « Désolé, les gars, mais on ne peut pas publier cette enquête. BHL s’est plaint auprès d’Arnaud Lagardère. Et Arnaud a mis son veto. Oubliez tout. » (Arnaud Lagardère? c'est le copain de Nicolas Sarkozy, "les amis de mes amis sont mes amis" a dû se dire BHL en Tunisie. ndlr Gérard Brazon) Que cachent de si gênant les affaires de la Becob pour conduire l’écrivain à se mobiliser ainsi pour interdire toute enquête à ce sujet ?
Bernard, l‘Africain
Fondée en 1956, l’entreprise de la famille Lévy est progressivement devenue l’un des principaux importateurs de bois précieux. Elle réalise 40% de son chiffre d’affaires en Afrique. Bon fils, Bernard-Henri est très impliqué dans la Becob depuis le début des années 1980. Il s’occupe d’abord de communication interne, puis siège très officiellement comme vice-président du conseil de surveillance, quelques années plus tard. Pour cette raison Bernard-Henri Lévy ne peut botter en touche et attribuer la responsabilité de la gestion de l’entreprise à son seul père. Des années durant, il a participé au plus près à la gestion de l’affaire.
Rien des secrets de l’achat et la vente de bois n’échappe au philosophe, pas même les montages fiscaux via la Suisse, qui caractérisent l’entreprise à cette époque. Entre deux livres, Bernard-Henri Lévy fit office de conseiller de son patron de père. Les deux hommes se parlent tous les matins au téléphone et ils participent tous les mercredis à la réunion du comité stratégique du groupe. Lorsque la Becob commence à battre de l’aile au milieu des années 1980, l’écrivain fait intervenir pour une mission de conseil au sein de l’entreprise paternelle un de ses amis, Aldo Cardoso, futur patron en France du prestigieux cabinet de consultants Arthur Andersen.
Lorsque l’entreprise familiale frôle le dépôt de bilan en 1985-1986, ses relations auprès de Pierre Bérégovoy, puis d’Edouard Balladur, lui permettent d’obtenir de l’Etat un prêt public providentiel de plusieurs dizaines de millions de francs à un taux très avantageux.
Pour se justifier, Bernard-Henri Lévy écrira dans L’Express du 10 janvier 2005 :
« J’ai mis à contribution, à l’époque, le pouvoir non seulement mitterrandien mais chiraquien ! Et en plus je l’assume ! Votre père est victime de quelque chose qui ressemble à une injustice ou à une cabale. Vous avez le moyen de plaider sa cause et de l’épauler. Est-ce qu’il y a une raison au monde qui peut vous l’interdire ? » Comme chaque fois qu’il est en difficulté, le philosophe se place sur le terrain moral. Tout en face n’est qu’injustice, complot, cabale. Lui, bien sûr, est du côté du droit et de la vertu. (cf. remarque 2, page 61)]
Tout naturellement, au décès de son père, l’héritier reprend donc les rênes de la Becob, l’affaire familiale qu’il codirigeait de fait depuis plusieurs années. Pendant deux ans, de 1995 à 1997, Bernard-Henri Lévy s’efforce de se comporter en chef d’entreprise responsable. « Je prenais toutes les décisions importantes », reconnaît-il lui-même. L’intervention de Bernard-Henri Lévy auprès d’Arnaud Lagardère pour censurer l’enquête sur la Becob est donc celle d’un homme parfaitement au parfum des pratiques de la société familiale. Et ces pratiques, justement, ne sont pas glorieuses.
Ce dont le magazine français n’a pu témoigner en Côte d’Ivoire, une petite organisation non-gouvernementale de protection de l’environnement va pouvoir le faire au Gabon. En juin 2000, le Comité-Inter-Association Jeunesse et Environnement (CIAJE) est mandaté par Forest-Monitor – une grande ONG britannique spécialisée dans la lutte contre la déforestation – pour enquêter sur l’impact des activités des entreprises forestières européennes sur la population et l’environnement local.
L’étude se concentre sur trois sites d’exploitation représentatifs du pays d’Omar Bongo. L’un d’entre eux est le chantier MBoumi, où opère la Société de la Haute Mondah (SHM). Pendant quatorze ans, de 1983 à 1997, la Becob, le groupe de la famille Lévy, via sa filiale Interwood, a exploité cette concession de 170.000 hectares. Quelque 200 employés, essentiellement gabonais, y travaillaient. Pendant plusieurs semaines, les volontaires de cette ONG observent les conditions de travail et discutent avec les travailleurs de cette exploitation forestière. Leur rapport intégré dans une étude englobant toute l’Afrique centrale est accablant. Il décrit les conditions sanitaires déplorables ayant cours dans cette concession.
« Les travailleurs (…) se contentent des ruisseaux et rivières pour s’alimenter en eau. Nous avons fait ce constat à la SHM où les cadres possèdent de l’eau potable par le biais d’un château d’eau aménagé pour la circonstance tandis que les travailleurs doivent parcourir plus d’un kilomètre pour s’alimenter dans une rivière. Ces travailleurs sont exposés aux maladies car cette rivière est polluée par des poussières et d’autres substances. »
Il existe bien des dispensaires à la SHM mais, selon les enquêteurs, « ils sont dépourvus de médicaments et, pour certains, le personnel employé est incompétent ». Fin novembre 1996, au moment où l’unique patron du groupe s’appelle Bernard-Henri Lévy, une épidémie d’Ebola va même se déclencher à la SHM, faisant quatre morts sur les cinq cas déclarés.
La journée de travail achevée, les employés gabonais de l‘écrivain regagnent leur logement sur la concession. « Les travailleurs sont logés dans des niches mal aérées », note le rapport. C’est un euphémisme. « Les travailleurs étant considérés comme des semi-esclaves, rien n’a été organisé dans le sens de leur épanouissement (…) A SHM, seuls les cadres ont la télévision alors que les travailleurs n’ont ni télé ni radio. Le mot “salle d’écoute” n’est jamais parvenu à leurs oreilles. »
L’éducation des enfants paraît, elle aussi, bien médiocre. « A la SHM, c’est la catastrophe », s’alarme même l’organisation humanitaire gabonaise. Il y a certes une école sur la concession. « Mais les classes sont petites et le personnel incompétent. Pour l’année 1998-1999, le pourcentage de réussite n’a pas dépassé 10%. Cette situation a conduit les travailleurs à envoyer leurs enfants à Ndjolé, qui est à 37kilomètres. »
Bref, voilà un rapport sévère pour Bernard-Henri Lévy, champion des droits de l’homme et ami autoproclamé de l’Afrique noire en déshérence. D’autant qu’il le dit lui-même, « (en Afrique), il existe des enjeux mégastratégiques ou plutôt métastratégiques (sic), en cela qu’ils engagent notre conception de l’homme et fixent l’idée que nous nous faisons de l’espèce humaine » Cf. Le Figaro, 12 août 2003]
La conception que l’écrivain se fait de l’espèce humaine se trouve donc décrite de façon peu amène dans l’enquête de cette ONG. Laquelle enquête n’a jamais fait l’objet du moindre article en France. Un manque de curiosité de la presse pour l’Afrique et les Africains, sans doute. Et puis, tout cela est de l’histoire ancienne : la SHM a été cédée en 1997 par Bernard-Henri Lévy à son ami milliardaire François Pinault, autre industriel du bois, qui n’a pas laissé, lui non plus que de bons souvenirs au Gabon.
“L’Express” du 10/01/2005
Quand BHL sauve l’entreprise paternelle et devient l’ami de François Pinault
En 1986, la Becob, société d’importation de bois africains d’André Lévy, est dans une situation financière désespérée. Bernard se mobilise à fond pour son père. Est-il déjà intervenu auprès de conseillers de l’Elysée afin que, grâce aux contacts africains de la présidence, la créance de la Côte d’Ivoire envers la Becob soit remise sur le «haut de la pile»? BHL dément cette intervention. Il reconnaît en revanche avoir contacté Pierre Bérégovoy (1) pour qu’il aide son père. Celui-ci a déjà frappé à toutes les portes pour obtenir des concours financiers. Le ministre des Finances de Laurent Fabius s’engage à lui décrocher un prêt participatif. Reste l’entrée dans le capital d’un investisseur, ce à quoi le patron de la Becob a déclaré s’employer auprès de la banque.
Mais, entre-temps, la droite a remporté les législatives. Il faut donc obtenir de Jacques Chirac, nouveau Premier ministre, qu’il tienne les engagements souscrits par le gouvernement de Laurent Fabius. Pas facile. Bernard se démène auprès de la Chiraquie. Lui-même et son père déjeunent avec le maire de Paris. Un prêt participatif de 40 millions de francs est octroyé à la Becob par le Crédit national, banque gérée par le Trésor, que Jean-Claude Trichet (2) dirige alors. Pour la Becob, le prêt est avantageux à de nombreux titres. D’abord, il bénéficie d’une franchise de remboursement de deux années. Ensuite, le taux d’intérêt consenti et de 5,5%, contre 9,25% sur le marché de l’argent à l’époque – lui confère un caractère dérogatoire. Enfin, l’octroi de ce type de prêt est tout à fait exceptionnel dans le secteur privé. En effet, créé en 1983, le prêt participatif sert en principe à renforcer les capitaux propres des entreprises publiques, ce que n’est évidemment pas la Becob.
A l’évidence, ce dispositif de sauvetage n’a pu se mettre en place sans une intervention de l’Etat au plus haut niveau. Jean-Claude Trichet lui-même, directeur du Trésor, a reçu plusieurs membres de l’équipe dirigeante de la société, comme Michel Pic et Marie-Françoise Brevent. De Venise même, où il participait à un sommet du G 7, François Mitterrand a téléphoné pour vérifier si la réunion s’était bien passée et si la Becob allait obtenir son prêt. Il est un volet du plan de sauvetage de la firme qui paraît plus étonnant: en même temps que l’entreprise se voit accorder son prêt participatif, le groupe Pinault entre à son capital et devient ainsi l’investisseur qu’André Lévy recherchait depuis des années.
Quand les cadres de la Becob apprennent que François Pinault est devenu leur actionnaire, c’est la stupeur et la consternation générales. André Lévy les rassure: il n’y avait pas d’autre solution, c’était ça ou le dépôt de bilan. Mais pourquoi Pinault a-t-il choisi de sauver l’un de ses principaux concurrents? Pourquoi ne pas laisser l’entreprise aller dans le mur pour la racheter «à la barre», comme Pinault a coutume de le faire depuis longtemps?
Une version plus ou moins officielle, en tout cas diffusée par Bernard-Henri Lévy lui-même, voudrait que son père, tout en combattant Pinault, lui ait voué un certain respect. Respect qu’il lui aurait manifesté en intervenant en sa faveur auprès des instances professionnelles du bois. Cependant, ni Lévy ni Pinault ne sont hommes à fonder leurs stratégies sur les bons sentiments: si Pinault rachète la Becob, c’est qu’il y a trouvé son intérêt.
Au sein de l’establishment parisien, Pinault jouit alors d’une réputation exécrable. Il souffre d’emblée du préjugé défavorable à tous les hommes dénués de diplômes et de lignage. Il aggrave son cas par la brutalité de ses méthodes. Il peut craindre, par-dessus le marché, que soient évoquées les relations qu’il a nouées jadis avec des hommes d’extrême droite, comme Jean-Marie Le Chevallier ou même Jean-Marie Le Pen. Or Pinault prépare déjà l’étape suivante. Il ignore sans doute qu’il va réorienter son groupe vers la distribution et le luxe, mais il ambitionne de devenir un grand capitaine d’industrie. Il a déjà été intronisé par Ambroise Roux dans la très conservatrice Association française des entreprises privées. Mais il lui faut conforter aussi ses relations à gauche. Il a réussi à mettre Pierre Bérégovoy dans sa poche, en janvier 1986, en acceptant de reprendre la société Isoroy, peu avant les législatives du 16 mars. Au printemps 1986, il rachète Chapelle Darblay, en Seine-Maritime, pour s’attirer les bonnes grâces de Laurent Fabius. Il lui faut maintenant développer ces amorces de relations. Rendre service à Bernard-Henri Lévy, figure de la gauche intellectuelle et animateur d’un réseau déjà réputé dans l’édition et les médias, n’est peut-être pas un calcul si idiot.
Bien entendu, Pinault ignore encore qu’à quelques années de là il deviendra l’heureux propriétaire de la Fnac et du Point, journal dont BHL est l’un des chroniqueurs réguliers. Mais il compte entrer en Bourse l’année suivante, en 1988. Une bonne introduction dans les médias et le monde politique ne peut être inutile.
En outre, le «cadeau» fait à André Lévy ne lui coûte pas cher. La situation de la Becob réduit grandement le coût de l’opération, soit 10 millions de francs pour une société dont l’actif net n’est évalué qu’à 80 millions, alors qu’elle vaut sûrement davantage! Enfin, au sein même du secteur du bois, racheter la Becob permet d’empêcher qu’elle ne soit reprise par Point P, n° 1 du secteur, qui n’aurait certainement pas tardé à se manifester.
L’hypothèse d’un geste de Pinault destiné à se rapprocher de BHL «colle» bien, en tout cas, avec la suite de l’histoire: le virage du groupe vers les industries culturelles et la naissance d’une «grande amitié» avec Bernard. Elle ne manque pas non plus de sel quand on se rappelle avec quelle obstination BHL a pourchassé et dénoncé, depuis 1983 et durant ces vingt dernières années, toute relation – même ténue, même fortuite – avec le lepénisme; avec quelle obsession, même, il a traqué le moindre signe d’inscription dans un territoire, y voyant l’une des multiples réincarnations possibles de l’ «idéologie française» et du pétainisme. Comment ce Pinault, si attaché au terroir, en l’espèce à sa Bretagne natale, peut-il, en retour, trouver quelque charme à un intellectuel médiatique qui fait presque ontologiquement profession d’inappartenance? Bernard-Henri Lévy affirme de son côté qu’il ignorait tout des informations relatives aux amitiés d’extrême droite de Pinault, dont il n’aurait eu connaissance que bien des années plus tard, à la parution du livre de Guy Konopnicki sur les «filières noires (3)».
Dix ans plus tard, le groupe Pinault rachète la Becob sur la base d’une valorisation d’environ 800 millions de francs. La fortune de BHL est donc appréciable. Son montant se situerait entre 150 et 180 millions d’euros. Elle a joué un rôle clef dans son histoire. Le Rastignac pouvait se permettre de mépriser l’argent. Ce qui n’est pas rien. (Le prototype du parfait bobo, l'exemple de ce qu'il y a de plus indécent dans l'intelligentsia de la gauche française. Son parcours (complicité) avec Nicolas Sarkozy est "étonnant" au minimum. Ndlr Gérard Brazon)
(1) Bernard-Henri Lévy le connaissait depuis sa participation au «groupe des experts» de François Mitterrand. Il l’avait revu lors de l’accession au pouvoir de la gauche unie en mai 1981.
(2) Actuel patron de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet est à ce moment-là directement placé sous l’autorité du gouvernement.
(3) Les Filières noires, Denoël, 1996.