Afghanistan. (26 Mai 2011) un jeune aumônier militaire rompt le silence
Publié le 27 Mai 2011
Lettre ouverte à Gérard Longuet ministre de la Défense
Le rapport de mission en Afghanistan du père Benoît Jullien de Pommerol, aumônier du 2e régiment étranger de parachutistes (Calvi), a suscité de vives réactions au sein de l’état-major, dont l’enquête interne est sévère.
Elle parle de « témoignages déformés tels que rapportés », de « manque de nuances et de tolérance ». Certains officiers jugent “exagérées”, “approximatives”, voire “indignes” d’un homme d’Église les critiques exprimées par l’abbé de Pommerol. La publication de son document (qui aurait dû rester confidentiel) a conduit des députés de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée, à commencer par son président, Guy Teissier, à auditionner le “padre”. Nos lecteurs avaient pu lire dans notre édition du 20 janvier de larges extraitsde son rapport, reproduit en intégralité sur notre site. Cette publication avait entraîné un abondant courrier, très largement approbateur, notamment dans la communauté militaire. Certains témoignages étaient même venus compléter le catalogue d’“incidents” fourni par le “padre”. Une fois ce débat ouvert, notre rédaction a donné la parole, la semaine dernière, à Mgr Luc Ravel, évêque aux armées, supérieur hiérarchique de l’abbé de Pommerol. Mgr Ravel a pu nous donner son appréciation, souvent critique, sur la forme et le fond de ce rapport.
La publication de l’interview de Mgr Ravel a coïncidé avec la sortie, au Journal officiel le 17 mai, de la réponse de Gérard Longuet, ministre de la Défense, à une question du député UMP Jean-Claude Bouchet. Choqué que le ministre ne l’ait pas entendu avant sa réponse officielle qui le met publiquement en cause, le père de Pommerol a décidé de réagir publiquement, en écrivant directement à Gérard Longuet.
Sa “lettre ouverte” porte sur quelques points particuliers de l’opération en Afghanistan (4 000 soldats français engagés) mais elle est une pièce de plus dans le débat sur les raisons de notre présence dans ce pays.
" Monsieur le Ministre, Après la publication malheureuse, sur Internet et dans la presse, de mon rapport de fin de mission en janvier dernier, j’ai délibérément choisi de garder le silence et de refuser toutes les sollicitations (articles, conférences, etc.), afin de laisser les autorités militaires et vos services travailler et enquêter dans la sérénité, attendant d’être moi-même interrogé.
Cela me semble aujourd’hui vain, puisque vous publiez, au Journal officiel du 17 mai 2011, une réponse à la question écrite de Monsieur le député Bouchet (question n° 100539 au JO du 22/02/2011), dans laquelle vous mettez en cause l’exactitude des faits que je rapporte, sans que jamais je n’aie été entendu par ceux qui ont mené les enquêtes aboutissant à cette conclusion. Ni les autorités militaires, ni la DPSD, ni vos services, personne ! Quelle étrange façon d’enquêter…
J’aurais pourtant pu vous préciser le sens de ma démarche. Je le fais donc ici, et publiquement, puisque mon honnêteté est maintenant mise en cause publiquement. Ce que je dénonce dans le rapport n’est en fait que le prolongement de ce qui se passait il y a vingt ans, lors de la guerre du Golfe. Déjà, la soumission à l’islam y est flagrante.
Cela commence à l’arrivée au port de Yanbu (Arabie Saoudite), lorsque les soldats français débarquent des bâtiments de la Marine nationale. La police religieuse saoudienne les attend au bas de la passerelle, vérifiant, en écartant les cols de treillis, que les militaires ne portent pas de croix autour du cou ; et si c’est le cas, la croix est retirée, mise dans une enveloppe et retournée en France.
Avant même d’arriver, des consignes incroyables ont été données : ne pas transporter de porc ou d’alcool dans ses bagages ; ne pas s’en faire envoyer dans des colis (la prévôté a même la mission sur place de le vérifier en ouvrant des colis au hasard, confisquant et détruisant les victuailles interdites par l’islam) ; ne pas arborer de croix rouges sur les véhicules sanitaires… Tout cela en dit long sur l’état d’esprit de la mission et ceci jusqu’au bout…
Au retour, après des morts et tant de blessés, transitant par Yanbu pour partir vers la France, nos convois routiers sont obligés de faire des dizaines de kilomètres supplémentaires pour contourner notamment la ville de Zilfi, interdite aux non-musulmans. Quelle incompréhension chez nos admirables soldats qui l’acceptent, malgré tout, sans que le pouvoir politique ne s’en offusque, trouvant sans doute cela normal.
En fait, il y eut une réaction : celle du ministre de la Défense, Monsieur Jean-Pierre Chevènement. Indigné par l’interdiction des concerts d’Eddy Mitchell prévus à Noël 1990, il annula, en guise de protestation, un entretien avec son homologue saoudien. En exprimant ses regrets, il précisa que « les chansons d’Eddy Mitchell ne menacent pas les valeurs islamiques, pas plus qu’elles ne menacent en France les valeurs chrétiennes ». Que les valeurs chrétiennes soient menacées par les consignes saoudiennes interdisant les croix, les aumôniers militaires ou les objets religieux non musulmans en général ne sembla pas gêner vraiment le ministre.
Doit-on aussi accepter sans s’indigner, Monsieur le Ministre, le fait que les forces françaises offrent aujourd’hui en Afghanistan des tapis de prière à la gloire de l’Arabie Saoudite (avec les cimeterres et le palmier) ? Je tiens un exemplaire à votre disposition, envoyé par des soldats français lassés de tout cela.
Doit-on accepter sans s’indigner que les forces françaises offrent une mosquée au village de Landakhel, bâtiment construit grâce à l’argent du contribuable français ? Qu’il soit imposé à des militaires féminins de se couvrir la tête au nom de l’islam ? Qu’il soit décidé par un général que tous les soldats français de sa zone mangeraient halal, qu’on organise un repas de fin de ramadan au profit des Afghans, etc. ?
Les Saoudiens, en 1991, ne nous avaient pas imposé tout cela. N’est-il pas choquant que nos propres chefs, dans notre armée républicaine et laïque, décident de nous l’imposer en 2010 ?
Je vous l’assure, Monsieur le Ministre : les faits que je rapporte ne sont ni “exagérés” ni “approximatifs”, pour reprendre les termes utilisés à mon égard dans votre réponse à Monsieur le député Bouchet.
Vous affirmez qu’un « militaire féminin a reçu l’ordre de se couvrir les che veux pour se protéger ». La protéger de qui, de quoi ? « Des regards d’un certain nombre d’Afghans ? », fut-il répondu à Mgr Ravel. Puisque cet ordre de se couvrir les cheveux n’est plus donné aujourd’hui, j’en déduis que les Afghans n’ont plus de “regards”. Marchent-ils les yeux fermés ?
Vous écrivez que ce fut « pour remplir une mission particulière ». Tous ceux qui ont assisté à cette scène savent que ce n’est pas la réalité. Mais quelle mission particulière pourrait requérir que les féminines couvrent leur tête avec un chèche ? Et sachez qu’il ne s’agit pas que d’un seul militaire féminin. Il y eut plusieurs cas. Je tiens des photos et des témoignages à votre disposition. Peut-on justifier cela par “un contexte opérationnel spécifique” ? Un contexte qui serait alors propre à la France puisque les autres pays de la coalition ne demandent pas cela.
Le fond du problème, Monsieur le Ministre, est que nous n’avons pas de consignes claires. Mgr Ravel évoque cette lacune dans son interview du 19 mai à Valeurs actuelles, à propos des « lignes directrices sur le juste et le légitime ». Notre évêque aux armées affirmait aussi le 23 février 2011 (dans la Nouvelle République) que « les chefs doivent mener une réflexion pointue afin de définir des consignes claires pour ceux qui sont sur le terrain ». Il serait temps d’avoir ces consignes. Cela fait dix ans cette année que nous sommes engagés en Afghanistan.
Comme “consigne claire”, je reçois de la part d’un général un courrier, approuvé par le chef d’état-major de l’armée de terre, m’expliquant combien j’ai tort, me précisant ceci : « Une fillette au bras d’un adulte ou des femmes voilées ne sont pas en soi choquant ! Et même demander à un sous-officier féminin de se couvrir la tête pour éviter d’éventuelles convoitises ou regards déplacés peut se révéler judicieux. Cela dépend du contexte local. » Je me souviens, Monsieur le Ministre, des larmes des femmes afghanes voyant nos militaires féminins vivre “normalement”, sans le joug du voile. Je ne peux alors m’empêcher de penser que ce général est gravement décalé.
Mon interprétation des faits serait, selon votre réponse, en « total décalage » avec « la finalité de l’engagement opérationnel de la France en Afghanistan ». Mais si je me réfère à ce que disait en 2008 le chef de l’État, chef des armées, le président Nicolas Sarkozy, qui est vraiment en décalage ? N’expliquait-il pas que nous étions aussi en Afghanistan pour, qu’un jour, les femmes afghanes n’aient plus à porter la burqa ? C’est bien l’ordre d’imposer le voile à nos féminines qui me semble « en total décalage avec la finalité de l’engagement opérationnel de la France en Afghanistan ».
Jusqu’à quand, Monsieur le Ministre, resterons-nous dans le flou et laisserons-nous tant d’amertume dans le cœur de nos soldats qui remplissent, malgré tout, si excellemment leur mission sur ce théâtre si difficile ? Me tenant à votre entière disposition si vous souhaitez m’entendre sur ces sujets, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Père Benoît Jullien de Pommerol, aumônier du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi, actuellement coordinateur JMJ du diocèse aux armées (Journées mondiales de la jeunesse, à Madrid du 16 au 21 août, www.jmj-armees.fr), sera aumônier auprès des forces armées aux Antilles à partir du 1er septembre.
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